Historique > 1918-1961


Récit des combats de Tannay

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Par Roger Avignon maréchal des logis au 93e GRDI


 

La carte du champ de bataille est disponible ici.

Peloton du maréchal des logis Avignon (dernier à droite)

Le texte qui suit a été publié par la société philatélique et cartophile du canton de Raucourt en 1995.

Journée du 16 mai 1940 :

A Armageat, le pont sur le canal n'a pas de nom. C'est le pont sur la Bar qui s'appelle pont d'Armageat, ce qui créera des confusions. Le pont d'Armageat tenu sera celui sur la Bar et non celui sur le canal qui sera cru comme tenu.

Deux pelotons moto ( sur simca 5 ) du 96e GRDI sont en surveillance de Sauville à la lisière sud. Ils ne doivent pas se faire accrocher.

A 6h, ordre d'occuper la sortie nord de Sauville.

Effectuant le mouvement en avant-garde, le lieutenant Barrault et 2 hommes tombent nez à nez dans Sauville avec une colonne motorisée allemande : side-cars, 2 blindés et camions porteurs de troupe.

Les 2 pelotons reçoivent l'ordre de regagner le canal. Pendant le repli, ils perdent 14 hommes et gradés, 18 voitures sur 22 et 3 FM. Ce qui reste passe sur la rive est du canal au pont station de Tannay qui est tenu par le peloton du lieutenant Tunmer de l'escadron de Meaux, 1 GM et 1 canon de 25.

La rive est du canal n'est pas tenue du pont station de Tannay au pont sur le canal à Armageat.

Le pont du canal sur la N77 est tenu à Pontbar depuis le 15 à 15h par l'EMC du capitaine Rophé avec l'appui du peloton moto de sous-lieutenant Deciry de l'escadron de Meaux.

La rive est du canal n'est pas tenue de Pontbar au pont station de Tannay.

La 3e compagnie du capitaine de la Hitte du 42e BCC repliée le 15 à 10h des bois de la Cassine sur Sauville, puis à 17h de Sauville sur la ferme La Remontée (extrémité est de l'étang de Bairon), a le dispositif suivant : capitaine de la Hitte et section Andrieu dans un boqueteau à droite de la route de Sauville vers la ferme interdisant la route, 2 chars près de l'étang de Bairon interdisant le pont qui le franchit, les autres chars, sous le commandement du lieutenant Duc, sur le plateau Mont de Chaux qui domine la ferme et la plaine à Grande-Pièce et à Pinta. Le commandant Vivet, en char, a passé la nuit du 15 eu 16 avec la 3e compagnie jusqu'à 4h30.

A 7h30, les chars du lieutenant Duc ouvrent le feu à la mitrailleuse sur des fantassins ennemis qui, au nord de la ferme La Remontée, franchissent la crête et dévalent la pente. Ils sont ralentis et dispersés et sont obligés d'utiliser les couverts. Immédiatement, les chars sont pris à partie par des canons antichars placés en bordure de bois à droite de la route de Sauville. Tous les chars engagent le combat contre les antichars. Dès le début, le capitaine de la Hitte en neutralise un à 1000 m en 2 coups de canon.

Le II/91 RI venant du bois du Mont-Dieu commence à arriver à Tannay pour prendre les positions qu'il occupait la veille sur la crête à l'est. A 12h, son installation se superposera au dispositif du 14e GRCA qui assure la défense de Tannay.

A 8h15, le colonel du Paty de Clam commandant le 76e GRDI donne l'ordre de mise à feu du pont station de Tannay. Il saute mais sa destruction est incomplète : le tablier en entier retombe à plat sur les culées.

A Armageat, le pont sur le canal saute mais n'est pas détruit complètement. Les arches coupées s'arc-boutent et retiennent le tablier coupé en deux au milieu de sa longueur au-dessus de l'eau. Les deux parties de la cassure restent jointives et les extrémités du tablier appuyées sur les culées. Le franchissement à pied est possible malgré les deux inclinaisons.

Le pont d'Armageat sur la Bar n'a pas été miné et ne sera jamais détruit.

Le pont de l'écluse de Sauville est entièrement détruit.

Le 91e RI a sous ses ordres les éléments motorisés du 93e GRDI; à 9 h, aux Petites-Armoises, le 4e peloton moto de l'aspirant de Reiset reçoit l'ordre d'aller tenir le pont d'Armageat et de s'étendre vers l'écluse de Sauville, le 3e peloton moto du lieutenant Vieuille d'aller tenir l'écluse de Sauville et de s'étendre au nord vers la ferme La Gravelle, le GM du lieutenant Blachon de s'établir à la lisière ouest du bois du Mont-Dieu, de part et d'autre du chemin de terre allant au pont d'Armageat, pour battre avec 3 mitrailleuses le terrain de La Gravelle au pont station de Tannay.

A 9h, le 16 BCP qui est à Oches reçoit l'ordre de se porter de toute urgence sur Pontbar et au Chesne en deux groupements :

  • Groupement chenillée du capitaine Craplet, commandant la CA : 1ere Cie, capitaine de Susbielle, 3e Cie, capitaine Fosse, 2 sections de canons de 25 - mission Pontbar;
  • Groupement sur roues du capitaine Tamalet, commandant la 2e Cie : 1 section de chaque compagnie, 2 sections de canons de 25, mortiers de 81 - mission Le Chesne

Chaque compagnie a 2 sections sur engins chenillés blindés et 1 section sur roues, la CA est entièrement sur roues.

A 9h50, les chars de la Hitte, qui combattent toujours au canon et à la mitrailleuse, reçoivent l'ordre de repli derrière le canal vers la ferme Pontbar. Le char du lieutenant Duc, avec une chenille coupée, va être perdu. La réparation est impossible sous le feu ; l'armement et les munitions sont enlevés et 3 obus de rupture sont tirés par un autre char dans le compartiment moteur.

Au point station de Tannay, le peloton Tunmer pris sous un tir ami d'artillerie trop court a été obligé de se replier sur la Bar : revenu au canal vers 10h, il repousse l'ennemi qui tâte le pont.

A 10h, l'artillerie ennemie pilonne Tannay.

A 10h50, le groupement chenillé du 16e BCP arrive à Pontbar; la 3e compagnie Fosse, en tête, débouche à la ferme Pontbar renforçant avec 2 sections et 2 canons de 25 les cavaliers du capitaine Rophé.

La 2e compagnie Tamalet occupe la cote 221 avec ses 12 FM et 3 canons de 25 en batterie face au canal et à la coulée entre Bar et le canal.

Le 1ere compagnie de Susbielle occupe le canal au barrage bassin.

Vers 11h, le 3e peloton moto Vieuille du 93e GRDI, alors qu'il atteint la lisière ouest du bois du Mont-Dieu, reçoit l'ordre d'aller à Tannay puis au pont station ( il reprendra sa mission initiale vers 19h ).

Vers 11h15, appuyés par un violent tir d'artillerie sur la ferme Pontbar et ses abords et par des tirs de mitrailleuses venant du Mont de Chaux, apparaissent des éléments motocyclistes ennemis à la cote 166 au croisement de la route de Sauville et de la N77 et des éléments à pied qui descendent du Mont de Chaux et de la ferme La Remontée se dirigeant en direction du pont et du canal. Les tirs précis de toutes les armes obligent l'ennemi à se replier rapidement.

A la ferme Pontbar, les capitaines Craplet et Fosse demandent au capitaine de la Hitte d'envoyer une section de chars au pont station de Tannay car si l'ennemi arrive à y créer une tête de pont, la position risque d'être tournée. Cette mission est confiée au lieutenant Duc qui, n'ayant plus de char, prend celui de l'adjudant Duhamel, lequel met pied à terre, et part avec 2 autres chars.

A 12h40, le colonel Gallini prescrit au commandant d'Harcourt de récupérer l'escadron Rophé afin qu'il s'établisse, en soutien, à l'est du pont station de Tannay à cheval sur la Bar entre le bois Fanot au sud de la cote 163 au nord. Le mouvement ne pourra s'effectuer qu'à la tombée de la nuit, la route Pontbar-Tannay étant battue par des mitrailleuses et pièces d'artillerie tirant à vue.

L'avion d'observation allemand tourne et retourne sans arrêt.

Les vagues de Stukas attaquant en piqué se succédent. A 12 h, les Petites-Armoises et les crêtes avoisinantes ont été pilonnées : 3 tués et 10 blessés au 93e GRDI ( de l'aspirant Modiano pulvérisé dans son trou, il ne sera retrouvé que 2 doigts ).

Pour enlever le passage de Pontbar, les troupes ennemies à terre sont aidées, vers 13h, par une violente attaque qui pilonne pendant une demi-heure les compagnies du 16e BCP visibles sur le terrain; elles résistent sur place faisant échouer la tentative de traversée du canal.

A 14h, nouvel assaut sur les Petites-Armoises; le 93e GRDI perd 1 tué, 7 blessés, 2 camions de munitions explosés, 2 cars totalement détruits et 3 endommagés, 4 tourismes et 1 canon détruits.

A 13h, un camion de mines étant arrivé, 3 lignes de mines sont posées par des cavaliers de l'escadron Rophé à Pontbar au pont sur le canal quoiqu'il soit battu par une mitrailleuse qui déclence son tir à tout mouvement.

L'observatoire de Tannay signale à plusieurs reprises le débarquement sur la route Sauville-Tannay, à 80m du canal, des troupes ennemies emmenées par camions sur le Mont de Chaux ainsi qu'à la cote 217 à la Grande-Pièce.

A Pontbar, après l'attaque aérienne de 13h, l'après-midi sera assez calme. Quelques tirs d'armes automatiques de part et d'autre et des tirs sporadiques d'artillerie sur la ferme Pontbar.

A 14h, étant signalés des chars ennemis s'avançant vers le pont station de Tannay et des concentrations de troupes à l'abri des vues sur le terrain trés boisé, le II/91 RI va porter sa défense face à l'ouest : CAB2 - capitaine Vanuxem -, la 5e compagnie de FV - captitaine Perrat - en bordure du canal ( de la crête est de Tannay, cote 276 au canal : 2500 m), la 6e compagnie - capitaine Bernard -et de la 7e compagnie - capitaine Tourenne - de FV sur la crête à l'est de Tannay.

Dans le courant de l'après-midi, appuyés par des tirs d'armes automatiques et d'antichars, et par des tirs de mitrailleuses d'avions volant au ras du sol, des éléments ennemis, en uniforme noir et veste de cuir, essaient à 3 reprises de forcer le passage du pont station de Tannay. Avec l'appui des 3 chars du lieutenant Duc, chaque fois l'ennemi est repoussé avec des pertes.

A 19h, le peloton Mignon de l'escadron de Meaux, qui avait été relevé au Chesne par le 16e BCP et qui avait été mis en réserve à Tannay, est poussé sur le ponceau de la Bar sur la route Tannay-pont station.

A 20h30, les 3 chars du lieutenant Duc se retirent du pont station de Tannay, le char de ce dernier à toute petite vistesse car il a été atteint par plusieurs projectiles dans l'après-midi et de grandes flammes s'échappent du pot d'échappement percé.

La compagnie 3/2 du génie Sapeurs Mineurs de la 3e DIM a organisé à la nuit la destruction du pont sur le canal à Pontbar par une charge concentrée placée près de la rive amie. A 24h, le pont saute. La destruction est médiocre : le tablier s'écroule d'un seul bloc et reste appuyé sur les rives basses du canal.

Le pont sur la Bar qui est à 120 m n'a pas été miné, il ne sera jamais détruit.

Au cours de cette journée du 16, au poste de secours du 93e GRDI aux Petites-Armoises, les officiers médecins Laroche, Pouret et Reiffers ont pansé environ 200 blessés de toutes armes et toutes unités.

 

Journée du 24 mai :

 

1h25 - 8e Chasseurs - Tannay cote 276

Le lieutenant Rérolle, commandant le 4e escadron, rend compte de son installation à la droite du groupe motorisé du 14e GRCA et qu'il n'a pu trouver la liaison avec le 1er Hussards qui lui a été dit être à sa droite.

Le lieutenant Millet, chef d'un peloton du 3e escadron, en position extrême gauche de son escadron, cherche la liaison avec le 93e GRDI. Sous la protection du brouillard, il envoie une patrouille de son peloton sur Tannay sous le commandement du mdl Cazals.

Arrivée aux maisons nord du village, elle entend des commandements en allemand. Il s'agit d'une patrouille du 31e IR allemand commandée par un officier de reconnaissance qui, rentré dans ses lignes, rend compte que Tannay n'est occupé que dans sa partie arrière : les Français se sont retirés des maisons du devant.

Le brouillard évite la rencontre des deux patrouilles qui sont à une trentaine de mètres l'une de l'autre. N'ayant pu trouver le 93e GRDI, le mdl Cazals rentre dans sa position avec ses cavaliers et rend compte au lieutenant Millet et au capitaine d'Aramon. Eux aussi ont entendu les bruits de la patrouille ennemie.

Sur la cote 276, chaque unité et surtout chaque portion d'unité se sentent très en l'air et isolés dans le dispositif à tenir, car les cavaliers sont à effectif bien réduit en regard de la grande longueur du terrain à courir. A vol d'oiseau : route le Chesne-Stonne au sud et ferme la Tuilie au nord : 2900 m.

 

2h - 1ere BC

Le général Bertin-Boussu, commandant la 3e DIM, après examen avec le général Gailliard, commandant la 1ere BC, et le colonel Buisson, commandant la 3e DCR, décide d'une contre-attaque montée par le général Gailliard dans la matinée du 24 avec l'appui du II/36 RI pour réduire la poche de Tannay et rejeter les Allemands au-delà du Canal des Ardennes.

La contre-attaque est fixée à H=14.

 

2h - II/36 RI - 7e compagnie - Villers-devant-Dun

La 7e compagnie arrive à Villers-devant-Dun. Le capitaine Miray retrouve le capitaine Saubagne, commandant le bataillon, et les autres capitaines de compagnies.

Personne ne connaît la raison de ce contre-ordre et, les camions ne venant toujours pas, les hommes vont se coucher dans les granges abandonnées.

 

4h - II/36 RI - Villers-devant-Dun

Les camions qui doivent enlever le 2e bataillon arrivent, enfin, à Villers-devant-Dun, mais ils sont moins nombreux que prévu.

Le chef de convoi semble peu disposé à embarquer le bataillon. Il estime qu'il est maintenant trop tard et que le convoi risque d'être pris pour cible par l'aviation ennemie.

Il demande au capitaine Saubagne si les hommes ne préfèrent pas continuer à pied l'étape de 20km prévue par camions. Tollé général des fantassins qui viennent de parcourir 40 km à pied.

Il se décide pour l'embarquement, les hommes se tassent dans les camions dont le nombre est insuffisant, il ne peut être emmené que 2 pièces par section de mitrailleuses - les voiturettes de mitrailleuses et mortiers de 60 suivront par la route avec les TC.

Les camions roulent espacés.

Le convoi traverse Buzancy en partie détruit, stoppe au carrefour 937, à 500m est de Germont ( cote 168 carrefour de la N47 Buzancy-Vouziers avec la D54 vers Authe et D12 vers Autruche ); tout le monde met pied à terre.

Le capitaine Miray retrouve le capitaine Saubagne en conversation avec un officier d'EM; le 2e bataillon doit aller boucher un trou du côté de Verrières-Oches.

Sans mortier de 60, avec 2 mitrailleuses par compagnies, portées à dos d'homme, le bataillon repart à pied pour Authe, heureusement caché par le brouillard aux vues des avions ennemies qui rôdent au dessus de lui.

Après Authe, le bataillon se dirige vers Verrières, distant à vol d'oiseau de 4 km. Les hommes sont éreintés. Le capitaine Miray mène sa 7e compagnie à la boussole à travers champs.

 

Avant le lever du jour - 49 BCC ( chars B1bis )

Le bataillon s'installe dans les bois du Mont des Grues sud de la cote 230.

Il devra dans la matinée effectuer une reconnaissance en vue d'une attaque montée par le général Gailliard sur Tannay-La Tuilerie, qui doit avoir lieu dans le courant de la journée.

 

Premières lueurs du jour - 93e GRDI - 1er Escadron - Bois de Sy

Le lieutenant Blardat commandant l'escadron effectue une reconnaissance sur la lisière à l'ouest de la route de Sy.

Il trouve 3 chars FCM du 7e BCL, détruits par un chapelet de bombes, les coupoles arrachées et dans 2 de ces chars, les restes humains des équipages.

Les comptes rendus des sous-lieutenants Malespina et Esquerre indiquent que, malgré les recherches, il a été impossible de trouver les liaisons avec les spahis au bois du Fay et au bois de la Fontaine Uchon.

Laissant le commandement de l'escadron au sous-lieutenant Malespina, le lieutenant Blardat part en moto avec le cavalier Firmin Manière pour essyer de trouver la liaison sur la route Le Chesne-Stonne au nord de Sy.

A Sy, des spahis indiquent qu'un de leurs officiers se trouve au carrefour cote 224 sur la route Le Chesne-Stonne.

Le fossé droit de la route allant à la cote 224 est jonché de cadavres de cavaliers (à cheval) français : dos ouverts, têtes broyées.

Le lieutenant Blardat rencontre le commandant d'Harcourt (14e GRCA) qui descend de sa voiture un imposant lot de mitrailleuses légères et de mitraillettes allemandes.

Il prend liaison avec le 6e Spahis algériens plus à gauche et plus bas avec des éléments du 14e GRCA et du 91e RI, vers la ferme Nociève avec le 1er Hussards.

Il se dirige vers le bois du Fay. Avant d'y arriver, il voit un tas d'Allemands morts écroulés les uns sur les autres.

 

8h - 1er Hussards - 1er et 2e escadrons - lisière ouest et sud-ouest du bois du Mont-Dieu.

Le brouillard se lève.

Toute la nuit, le long de la lisière, les chefs de peloton ont effectué des patrouilles dans le brouillard épaissi par la fumée des éclatements empêchant toute visibilité.

L'inquiétude avait gagné, due au manque de protection - les quelques clôtures des pâtures ne pouvant remplacer un réseau de barbelés -, aux possibilités d'infiltration dans les vides du dispositif, à la présence très rapprochée de l'ennemi et au bruit de maillets frappant du bois sur la Bar.

A quelques centaines de mètres, 3 ou 4 mitraillettes arrosent le 1er escadron mais sans mal, car elles portent trop haut.

Les mitrailleurs modifient leurs emplacements pour avoir de meilleurs flanquements.

Le bombardement continue et redouble d'intensité.

La circulation dans le bois est pénible, les arbres abattus forment des enchevêtrements qu'il faut contourner, son aspect change, des parties les plus touffues sont devenues presque des clairières.

 

93e GRDI - 2e escadron moto - cote 276 de Tannay

Le brouillard disparaît rapidement sous l'effet d'un soleil brillant qui annonce une journée encore particulièrement torride. C'est à ce moment-là que, sur la cote 276, les 1er et 4e pelotons du 2e escadron moto reçoivent l'ordre de se porter plus avant et à droite de Tannay.

Aux vues complètes de l'ennemi qui, à nouveau, déclenche ses tirs d'artillerie et d'armes automatiques, les 2 pelotons, sous la mitraille, descendent en biais direction N-O la pente de la cote 276 en direction de la N77.

Au passage, le mdl Avignon laisse un cavalier en relais dans un buisson à 300 m de leur point de départ - dernier abri, car la pente qui se présente maintenant est totalement dénudée.

Devant ce buisson, une AM du 6e GRDI est hors de combat. Une brutale rafale d'artillerie s'abat sur les ruines de Tannay. A son P.C, le capitaine Charlois donne l'ordre au cavalier Louis Bareau, revenu des Petites-Armoises avec le brigadier-chef Wiehn qui y était allé chercher du ravitaillement, de porter un pli au lieutenant Hécré.

Les tirs de mitrailleuses sont tellement denses que le cavalier Bareau ne peut progresser qu'en rampant. Une balle érafle son manteau.

 

8e Chasseurs

Au sud du bois triangulaire, les cavaliers du peloton Millet s'enterrent. Leurs trous sont à peine creusés lorsque le brouillard disparaît définitivement.

A gauche du peloton, le mdl Cazals examine à la jumelle des Allemands entrevus dans une haie en face de lui. Son observation tombe au bout de la haie sur un ennemi qui, lui aussi, observe à la jumelle; ils se fixent. Il fait axer un de ses FM sur la haie, l'ennemi en fait autant an plaçant une arme automatique dans la direction du groupe Cazals.

Le mdl Cazals se camoufle, l'Allemand également; il réapparaît, l'ennemi fait de même et, à nouveau, ils se fixent.

Le feu se déclenche dès que le mdl Cazals a montré d'une manière précise l'objectif du FM. Le cavalier Perrin est tué par une rafale en allant chercher des munitions juste au moment où le sous-officier lui crie de se camoufler.

 

16e BCP

L'adjudant-chef Gervais reçoit l'ordre lui confirmant qu'il doit tenir coûte que coûte et utiliser au mieux les 7 cavaliers du 1er Hussards qui sont avec son sous-officier adjoint.

L'ennemi semble poursuivre son attaque en direction de la section du sergent-chef Firion.

 

93e GRDI - 2e et 4e pelotons du 2e escadron moto - Nord de Tannay

Conformément aux ordres, à environ 600 m nord de Tannay et à quelques 100 m de la N77, le 2e peloton du 2e escadron moto essaie de mettre ses 4 FM en batterie. Le 4e peloton est à sa droite entre lui et la ferme Mon-Idée.

L'installation en plein découvert est pratiquement impossible pour agir avec efficacité. Aucun abri, les nombreux trous d'obus n'ont pas plus de 10cm de profondeur. La pente est tellement importante qu'il faudrait creuser pour mettre les FM dans un bon champ de tir, entreprise impossible, chaque mouvement amène une nappe de balles, tout le monde est plaqué sur le sol dénudé.

Les 4 FM sont quand même en position de tir avec un champ restreint; il ne pourra y avoir qu'un combat rapproché.

Le mdl Avignon fait rester l'aspirant Charpenet avec les FM et prend avec lui le mdl Bernard, chef du 1er groupe. Les deux sous-officiers rampent 50 métres en arrière plus haut d'où les ordres nécessaires pourront être donnés au peloton car l'observation est nettement meilleure avec vue complète sur le canal. La situation est des plus mauvaises : allongés sur le sol, les 2 mdl, côte à côte, sans aucun mouvement, observent à la jumelle le Canal des Ardennes bien visible et toute sa zone; les balles arrivent sur eux.

A droite, près de la N77, le 4e peloton est dans une situation toute aussi défavorable. Allongés dans un champ de luzerne, les cavaliers sont incapables de creuser leur trou individuel à cause des tirs d'armes automatiques dirigés sur eux.

Les 2 pelotons sont en flèche du dispositif : s'il leur est possible, avec leurs 8 FM, d'empêcher la progression de l'ennemi face à eux et à courte distance, il leur sera impossible de la bloquer entre leur gauche et Tannay.

Cet espace à leur gauche est maintenant vide, l'ennemi pourrait s'y engouffrer et atteindre sans peine le sommet de la pente, puis en se rabattant sur sa gauche, prendre de flanc et, même à revers, le 8e Chasseurs à cheval et sur sa droite atteindre les bois de la Fontaine Uchon et prendre à revers les batteries du 42e R.A et le 16eBCP.

De Tannay, seule la partie haute des ruines de l'église est visible.

Depuis que le brouillard s'est levé, l'avion d'observation allemand a déjà effectué un passage. Pas un autre avion que lui, qu'il soit français ou ennemi, n'est apparu et n'apparaîtra dans le ciel (il en sera ainsi toute la journée dans la zone de Tannay).

Une nouvelle rafale d'obus s'abat sur Tannay, continuant la destruction du village.

 

16e BCP - Tannay

Tout le front de la section de l'adjudant-chef Gervais est attaqué dans Tannay à la grenade. Le sergent Frenger a été blessé, le Chasseur Lemoine est tué par un obus de mortier.

 

93e GRDI - 2e et 4e pelotons du 2e escadron moto - nord de Tannay

Subitement, entre les 2 cotes 163 du Canal des Ardennes qui est à 1200 m, l'ennemi jaillit de la berge. Quelques hommes en premier, suivis peu après par le déferlement d'une masse compacte qui, en courant, progresse rapidement et se dilue dans les couverts.

Le mdl Avignon écrit très vite : " 9h. mdl Avignon à capitaine Charlois. Position intenable du fait du manque d'abris. Sommes harcelés par tir d'armes automatiques. Allemands traversent en masse le Canal des Ardennes et s'infiltrent direction Tannay. "

Il donne l'ordre au mdl Bernard de porter le message au cavalier qui se trouve en relais au buisson.

" Bonne chance ! " Le sous-officier démarre brusquement en rampant, une balle se fige immédiatement dans le sol en plein milieu de la place qu'il occupait; dans un geste lent, le mdl Avignon la ramasse et la met dans son étui à jumelle.

Courant, s'aplatissant au sol, faisant le mort, rampant, le mdl Bernard arrive au buisson, donne le pli au cavalier qui file vers le PC Charlois (il l'atteindra et remettra le compte-rendu au capitaine Charlois).

Le mdl bernard revient vers le mdl Avignon.

L'artillerie ennemie recommence à arroser le terrain.

Le cavalier Etcheparre est blessé, criblé d'éclats d'obus; son sous-officier, le mdl Grenier, va le chercher et le traîne dans un trou plus abrité.

 

93e GRDI - 1er peloton du 2e escadron moto - sud-est de Tannay

A quelque distance, dans un trou, un Chasseur du 16e BCP lève la main, il doit être blessé et c'est peut-être le signe pour que l'on vienne le chercher. Chaque fois que la main se lève, c'est une débauche de balles supplémentaires qui arrivent sur elle, impossible aux cavaliers d'aller porter secours au Chasseur.

Le cavalier Bareau trouve enfin le 1er peloton au nord de la cote 242, remet le pli au lieutenant Hécré et fait demi-tour pour regagner le PC du capitaine Charlois dans les mêmes pénibles conditions qu'à l'aller.

L'ordre donné au 1er peloton est de gagner Tannay et d'y établir une liaison solide avec le 16e BCP.

Le lieutenant Hécré indique l'objectif à ses deux chefs de groupe et à son sous-officier adjoint, le mdl-chef Reillier.

Les 17 cavaliers, en restant collés au sol, sortent de leurs trous. Ils ne peuvent progresser qu'en rampant tellement le feu est nourri, les obus pleuvent, la progression est extrêmement lente et particulièrement pénible.

Le lieutenant Hécré est en tête suivi par le mdl-chef Reillier qui fait suivre sa cape attachée à un pied. Les 15 autres cavaliers rampent derrière eux sous la mitraille. Le mdl Anastase est tué 100 m avant le cimetière.

 

93e GRDI - PC capitaine Charlois

Le capitaine Charlois, ne voyant pas revenir le cavalier Bareau envoyé en liaison au peloton Hécré vers le cimetière de Tannay, dépêche pour la même mission le cavalier Boulestin de son PC. Il ne reviendra pas, tué sur son parcours à l'aller à 400 m du cimetière.

 

14e GRCA

Un ordre du colonel Caldairou prévoit le retrait progressif du groupe motorisé.

Le poste de secours du Dr Laroche, du 93e GRDI, est installé près du PC du lieutenant Blardat, les blessés de toutes armes y arrivent sans cesse ( 82 dans la seule matinée ). La sanitaire ne suffisant pas à l'évacuation des blessés, le Dr Laroche demande du renfort, 2 autres sanitaires arrivent et les 3 véhicules n'arrêtent par leurs voyages vers le GSD de Quatre-Champs.

 

10h45 - 16e BCP

Dans les ruines de Tannay, la section de l'adjudant-chef Gervais s'amenuise avec les pertes subies et les munitions s'épuisent. Submergée et attaquée de 3 côtés, elle commence un repli, se battant dans chaque maison.

 

10h45 - 93e GRDI - Les Petites-Armoises

Une dizaine de cavaliers dont 4 du service de Santé se trouvent dans la cave d'une maison à côté de la grange en partie démolie où sont garés les side-cars du 2e peloton. Au rez-de-chaussée, l'étable est attenante à la cuisine.

Subitement, l'artillerie ennemie pilonne le village des Petites-Armoises; le cavalier Couturier, infirmier au 2e escadron moto, dit à ses camarades : " si un obus tombe sur la maison, on va se faire tuer, on va tous y rester ", quitte le cavalier Mouly et monte au rez-de-chaussée. Alors que, prêt à sortir, il est sur le seuil de l'étable contre la porte, un obus de gros calibre explose juste devant le soupirail de la cave. Couturier tombe mort à l'intérieur de la grange, sans blessures apparentes, tué par le souffle de l'explosion. Des éclats d'obus pénètrent dans la cave par le soupirail, traversent le matelas qui l'obstrue et l'un d'eux blesse au genou droit le cavalier Tricard, agent de transmission du 2e peloton du 2e escadron moto.

17 hommes étaient au départ, il n'en reste plus que 7 avec un FM qui n'a pas l'air de bien fonctionner.

Abrités par le mur du cimetière, ils cherchent à voir, mais en vain, les chasseurs du 16e BCP.

Le lieutenant Hécré envoie son ordonnance, le cavalier Mondy, dans le village pour chercher les Chasseurs; il revient peu après sans avoir rien trouvé.

Le lieutenant Hécré et le mdl-chef Reiller partent en reconnaissance dans Tannay.

Les balles sifflent de tous les côtés; dans la première maison où ils pénètrent : 3 cadavres.

Ils continuent leurs recherches et ne trouvent dans les maisons démolies que de nombreux cadavres; l'ennemi invisible tire toujours sur eux.

Ne trouvant pas les Chasseurs et les tirs devenant de plus en plus ajustés, ils regagnent par bonds les quelques hommes du peloton, car les Allemands progressent dans le village et ils ont l'impression que, dans quelques minutes, ils vont être encerclés.

Le lieutenant Hécré décide de tenter de gagner le PC du capitaine Charlois.

 

93e GRDI

Après avoir subi pendant plus d'une heure le terrible tir d'artillerie, le capitaine Charlois, estimant ce PC beaucoup trop exposé, décide de réintégrer son PC primitif.

Le cavalier Trochet est envoyé pour dire à ceux qui n'ont pas encore rejoint de faire demi-tour. Tous les cavaliers sortent du trou en rampant et se dirigent vers l'ancien PC, mais il y a des pertes, des cavaliers sont blessés, d'autres tués : le cavalier Saury avec d'affreuses plaies aux cuisses et au ventre, et le cavalier Mestre en partie dépouillé de ses vêtements, presque coupé en deux.

 

12h - 49e BCC

Les 16 chars restant du bataillon quittent le Mont des Grues pour prendre leur PA dans le bois de Sy. Ils l'occuperont de 13 à 14h aux environs de la cote 179.

 

16e BCP

Alors que l'adjudant-chef Gervais se trouve à gauche de la lisière ouest de Tannay et que sa mission se bat encore dans quelques maisons, il reçoit une rafale dans le bras gauche.

Les débris de la défense nord de Tannay se replient par les fossés de la N77 et se rétablissent à 200 m de la sortie du village d'où ils interdisent à l'ennemi de déboucher.

La 3e compagnie a été obligée de céder la portion de la route D8 qu'elle tenait à Tannay au ponceau sur la Bar; profitant des couverts, elle se rétablit à 100 m au sud et fait front à nouveau interdisant à l'ennemi de progresser.

 

1er Hussards - 1er et 2e escadrons - lisière ouest du bois du Mont-Dieu

Une patrouille allemande en tenue noire des troupes motorisées avance à gauche vers la lisière du bois.

Le lieutenant Bollore la prend à partie par le tir des ses mitrailleuses; le sous-lieutenant Mellet, avec 4 hommes armés de fusils, va à sa rencontre et bouche un vide existant.

Les rangs des Hussards, avec les pertes subies, sont éclaircis et il leur est difficile d'assurer la surveillance et la défense de la totalité de leur position.

 

1ere BC - 49e BCC - II/36 RI

Au PC du général Gailliard au bois de Verrières, la liaison est prise avec le commandement du 49e BCC et le capitaine Saubagne, commandant le II/36 RI.

Le capitaine demande des moyens automobiles pour transporter ses mitrailleuses, ses engins d'accompagnement et ses munitions qui sont à l'arrière et déclare que son bataillon sera dans l'impossibilité d'attaquer avant 18 h.

Il est prévu que le 49e BCC attaquera avec la 2e compagnie du lieutenant Dumont à 2 sections.

L'heure H=14 est reportée à H=18.

 

II/36 RI

Dès le retour du capitaine Saubagne à son PC, réunion des commandants de compagnies et chefs de section. L'ordre est de préparer et de mener une contre-attaque immédiate au nord de Sy entre Tannay et le Mont-Dieu.

L'ordre est bien rédigé, rien n'y manque. Le bataillon doit avoir l'appui des chars, de l'artillerie et même de l'aviation.

La base de départ est fixée : ligne du sud au nord est 240, cote 276, bois triangulaire 20 sud de la Forge.

Branle-bas de combat. Le bataillon doit partir avec ce qu'il a, c'est à dire avec ses 3 compagnies aux sections incomplètes et très fatiguées, sans mortier de 60 et avec 2 mitrailleuses par compagnie, au lieu de 4, à porter à dos jusqu'à la base de départ qui est à près de 5 km de Verrières, et sous une chaleur accablante.

Il doit attaquer sans aucune reconnaissance préalable du terrain, sans que le contact ait été pris par les commandants de compagnies avec les chefs de chars.

 

93e GRDI - 2e et 4e pelotons motos - nord de Tannay

Sautant dans ses trous, le 2e peloton reprend avec ses 4 FM les mêmes axes de tir : ouest et nord-ouest sur Tannay, nord et est.

Au cours de ce changement de position, il n'y a pas eu de pertes, mais il manque le cavalier Etcheparre, blessé, et le cavalier Deyris, resté avec lui attendant du secours.

Le 4e peloton, à la suite, se replie dans des circonstances tragiques.

Le brigadier-chef Breteau a le poignet droit traversé par une balle. " Donne-moi ton mousqueton ", lui dit le mdl Thévenoux.

Le cavalier Lassignardie est blessé par un éclat d'obus sous l'oeil gauche.

Quelques instants après, l'aspirant de Reiset tombe le ventre ouvert par un éclat d'obus.

A 600 m du PC Charlois, le mdl Thévenoux veut revenir en arrière récupérer un sac chargeur de FM abandonné." N'y va pas ", lui crie le brigadier-chef Foulquier. "N'y va pas ! ".

Sans tenir compte de cette injonction, le mdl Thévenoux revient en arrière, il est tout de suite atteint par une rafale à la tête et tombe mort face à terre à l'extrémité sud de la haie située sur la hauteur, à côté du chemin de terre allant de Tannay vers l'est sur la crête.

A quelques mètres du mdl Thévenoux, le mdl Marty est tué par un éclat d'obus. Le cadavre d'un soldat allemand, face contre terre, tout le dos enlevé et à côté de 2 mines antichars, est entre les 2 sous-officiers.

Le mdl poupard est blessé par éclat d'obus à un pied.

La remontée de la pente s'éternise, la difficile progression est très lente sous les tirs ennemis, les cavalaiers doivent éviter des mines antichars reliées les unes aux autres par un fil.

Le cavalier Chassagne blessé se traîne péniblement vers le PC Charlois.

Le brigadier-chef Foulquier et le cavalier Leyx s'arrêtent derrière un champ de seigle pour souffler un peu. " Les salauds, ils m'ont eu ! " Foulquier vient d'être atteint à l'épaule par un éclat d'obus. Leyx lui fait un pansement provisoire et tous deux partent vers le PC Charlois.

Se dirigeant vers la position du 2e peloton, le brigadier-chef Gardes est tué à 600 m nord-est de Tannay sur la parcelle Sainfouin L. Lefort.

Le dernier cavalier, tireur FM Armand Lacoste, en protection arrière du peloton, arrive à l'Aspirant de Reiset assis par terre tenant à plein bras ses jambes repliées sur son buste. Le sang coule.

Lacoste veut lui faire un pansement. " Va-t'en, Lacoste, va-t'en, tu ne peux rien pour moi, va-t'en, tu vas être prisonnier, va-t'en, je t'en supplie ! " Dix fois, l'aspirant de Reiset lui dira la même phrase, obligeant Lacoste à le laisser.

Le capitaine Charlois dépêche le brigadier Wiehn au PC des Petites-Armoises, il trouve le commandant de la Londe en compagnie du commandant du 16e BCP.

Il leur explique la situation, la nécessité immédiate de renforts devant les pertes subies. Les 2 commandants lui répondent qu'il ne faut pas compter sur des renforts. Le commandant de la Londe ajoute : " Dites à votre capitaine de tenir, il le faut coûte que coûte, couchez-vous dans les fossés de la route, mais tenez ! "

 

16h - II/36 RI - Verrières

Le 2e bataillon du 36e RI quitte la région de Verrières et, en colonnes, monte vers le bois de Sy. Les 6e et 7e compagnies sont en premier échelon, la 5e compagnie en deuxiéme échelon progresse en formation : 1re, 2e, 3e et 4e sections, la 4e sections en triangle pointe en avant.

 

49e BCC

Le chef de bataillon Préclaire et ses 2 commandants de compagnie, lieutenant Dumont (2e cie) et lieutenant Caravéo (3e), sont au PC du général Gailliard au bois de Verrières pour y recevoir les derniers ordres.

Les chars doivent permettre au II/36 RI d'occuper le Pré-Naudin et le bois Bon-Temps.

L'ordre d'opération prévoit :

  • une couverture aérienne de H-20 à H+1 heure
  • des tirs d'appui d'artillerie et des tirs de contre-batterie de H à H+1

Le général Gailliard demande au commandant Préclaire de permettre aussi au 16e BCP de reprendre Tannay. En conséquence, la 3e compagnie du lieutenant Caravéo reçoit l'ordre de prolonger l'action de la 2e compagnie du lieutenant Dumont avec une section en direction de Tannay et de garder une section en protection.

 

93e GRDI - 1er peloton -lieutenant Hécré, du 2e escadron moto - côte 242, route de Stonne

Le brigadier Delors saute dans un trou que venait de creuser le cavalier Puybertier, ce dernier lui fait remarquer que c'est son trou.

Le brigadier Delors s'en va un peu plus loin, un obus arrive presque aussitôt pulvérisant le cavalier Puybertier dont, à première vue, il ne reste que 4 doigts dans l'herbe.

 

14e GCRA

Ordre de renvoyer 2 FM du groupe motorisé à la lisière nord du bois de Sy.

 

16h05 - 93e GRDI - 2e peloton - PC capitaine Charlois - cote 276

Après avoir fait aussi vite qu'il a pu, le brigadier-chef Breteau arrive au PC du capitaine Charlois et l'informe de suite de la grave blessure de l'aspirant de Reiset laissé sur le terrain, car il ne peut être transporté que sur un brancard et qu'il y a d'autres blessés.

 

16h10 - PC capitaine Charlois - cote 276

Le brigadier-chef Wiehn arrive au PC et rend compte au capitaine Charlois de son entrevue avec le commandant de la Londe : aucun renfort ne peut lui être envoyé, il faut tenir coûte que coûte.

Il est renvoyé immédiatement au PC du GR pour demander qu'une voiture sanitaire soit dépêchée de toute urgence au PC du capitaine Charlois (elle n'arrivera pas).

Avant de partir, le capitaine Charlois lui remet deux cartes à déposer au vaguemestre, adressées à sa famille et portant ces simples mots " Pas le temps d'écrire mais tout va bien ", qu'elle recevra le 27 mai.

Carte d'identité militaire du capitaine Charlois

 

16h30 - 16e BCP - Tannay

L'ennemi a débouché de Tannay et a écrasé la 3e section de la 2e compagnie accrochée sur la pente est du village. Tirant de toutes ses armes, les survivants de cette section se replient pied à pied sur la route Le Chesne-Stonne.

La 2e compagnie a perdu tous ses officiers et la majorité de ses sous-officiers.

 

6e GRDI

Le bois de la Fontaine d'Uchon est sérieusement bombardé; il y a des pertes dont le commandant Bodelot et le capitaine Renault mortellement blessés.

 

16h50 - 93e GRDI - PC capitaine Charlois - cote 276

Le brigadier-chef Wiehn remet le pli au capitaine Charlois qui l'ouvre et en prend connaissance. Immédiatement, son expression change, devient grave; sa lecture muette terminée, sans un mot, il tend l'ordre au mdl Avignon qui lit : " Vous attaquerez à 18 h- objectif Prè-Naudin. Mission : rejeter les Allemands au-delà du Canal des Ardennes. Vous serez appuyés par une section de chars B et une compagnie du 36e RI. "

Le mdl Avignon rend le pli au capitaine Charlois et leurs regards se croisent. Tannay est à 700 m, le canal à 1200 m, l'effectif total pour attaquer est de 48 hommes avec 5 FM, 28 mousquetons et 2 mitrailleuses.

Pendant un instant, yeux dans les yeux, c'est le silence puis, sans que personne puisse entendre, le capitaine Charlois dit au mdl Avignon :" Voilà, c'est la fin ", puis sur un ton plus haut : " Mettons nos montres à l'heure, j'ai 16h58, et vous ? - 16h56, mon capitaine, je mets à 16h58. "

Sans plus attendre, le mdl Avignon salue le capitaine Charlois qui, en réponse et pour la première fois, lui tend la main. C'est une poignée de mains étrange, forte et prolongée qui semble être le signal d'un adieu au sous-officier qui, sans un mot, saute hors du PC et rampe rapidement vers son peloton.

 

II/36 RI

Dans la traversée du bois de Sy, les fantassins ont aperçu les chars B en attente, qui doivent participer à l'attaque.

Dès leur sortie du bois de Sy, les premiers fantassins sont repérés par l'avion d'observation ennemi qui les survole à basse altitude, les tirs de harcèlement de l'artillerie allemande se dèclenchent aussitôt.

Les fantassins sont poursuivis sans répit par les obus, leur progression vers le carrefour 229 est extrêmement lente.

 

93e GRDI - PC capitaine Charlois - cote 276

L'aspirant de Reiset, sur un brancard, est porté par deux cavaliers vers le PC Charlois. Vu à la jumelle, le visage de l'aspirant est couleur de cire.

Plus loin sur la gauche, le cavalier Deyris, dans le sillage des deux brancardiers, avance debout transportant dans son dos le cavalier Etcheparre. Il est extraordinaire que Deyris ait pu progresser ainsi; peut-être que l'ennemi n'a-t-il pas cherché à l'atteindre.

D'autres cavaliers paraissant blessés avancent péniblement.

Debout sur la crête, l'abbé Lantin circule malgré les balles, s'arrête devant les corps des mdl Marty et Thévenoux, de l'Allemand au dos arraché et devant d'autres corps pour donner l'absolution.

Le cavalier Leyx soutenant le brigadier-chef Foulquier arrive au PC. Le capitaine Charlois lui demande où est son officier et les sous-officiers de son peloton : " Tous tués, mon capitaine. - Vos camarades ? - Tués ou blessés, mon capitaine. "

Les brancardiers portant l'aspirant de Reiset arrivent au PC. L'aspirant donne son portefeuille au capitaine Charlois; dans un dernier souffle, il prononce quelques paroles et meurt.

 

17h15 - 49e BCC

Le chef de bataillon Préclaire, commandant le 49e BCC, se rend compte que l'infanterie ne pourra être sur sa position de départ à l'heure voulue. Il envoie un officier de liaison au PC du général Gailliard demander de retarder l'heure H.

Le chef de bataillon avait déjà demandé à plusieurs reprises que l'attaque décidée pour 18h soit montée de nuit pour déboucher le 25 au petit jour à la même heure qu'une opération qui devait être montée sur Stonne avec les 41e et 42e BCC.

De plus, les chars attaquant à 18h seront gênés par le soleil couchant, la poussière soulevée par les tirs d'artillerie ennemie nene manqueront pas de se déclencher rendant difficile aux équipages de s'orienter, d'observer et même peut-être de différencier l'ennemi des troupes amies.

Le général maintient l'heure H à 18 h.

 

17h30 - 49e BCC - PA bois de Sy

Sur les 16 chars B1bis du bataillon, 14 vont être engagés. Ils quittent leur PA du bois de Sy pour gagner leur PO.

Leur attaque doit s'effectuer : la 2e Cie - lieutenant Dumont -, 7 chars au nord, reconstituée à 2 sections - lieutenants Valois et Meilhan -, doit attaquer sur l'axe ferme La Forge-ferme Le Moulinot-ferme La Tuilerie, la 2e section en flanc droit, la 1ere section en flanc gauche, le char Staouli - aspirant Chapuis - à l'extrême gauche, et atteindre la route de Tannay-ferme de la Tuilerie à hauteur des bois Pré-Naudin et bois Bon-Temps. Elle devra fournir des tirs sur ces bois sans dépasser la N77, zone marécageuse au-delà.

 

PD de la 2e compagnie - Chautreune

Au sud, la 3e compagnie du lieutenant Caravéo, 7 chars, reconstituée à 2 sections doit attaquer avec une section sur le bois triangulaire et au sud du bois deTannay, l'autre section appuyant les 2 sections d'attaque.

 

PD de la 3e compagnie - bois triangulaire (bois le Chauffour)

Il est bien précisé aux chefs de chars qu'au cours de l'attaque, ils ne devront pas dépasser la N77 Tannay-bois du Mont-dieu. A la réunion des officiers et sous-officiers, le lieutenant Domecq a râlé car le 1ere Cie n'existant plus, les 3 chars restant servent de bouche-trou : "qui dois-je suivre ?"... Suivre l'aile gauche.

La PD par la poste Nociève est à 3500 m de la PA, le terrain est très escarpé avec les pentes des cotes 266, 276; Sy étant à la cote 188, le bois de Sy à la cote 236.

 

17h30 - 1er Hussards - 1er et 2e escadron - lisière ouest et sud-ouest du bois de Mont-Dieu

Le groupe d'escadrons est prévenu qu'il doit se tenir prêt à appuyer à 19h une attaque de chars allant de Tannay au pont d'Armageat et à épauler son flanc. Avec l'infanterie, l'attaque des chars partira des hauteurs de Chautreune pour se diriger sur la Bar et le canal; arrivé à leur hauteur, le groupe d'escadrons attaquera parallèlement avec le même objectif.

L'ennemi se déplace vers la gauche, tiré au fusil à chaque passage de haie, une mitrailette repérée est détruite à la mitrailleuse.

Le sous-lieutenant de Waru passe au PC du lieutenant Cholet où il reçoit des directives plus complètes puis rejoint son peloton où il donne ses ordres.

Premier bond, la Bar, dispositif en tirailleurs très espacés les uns des autres, le groupe Lay derrière lui au centre, le groupe Dameron à gauche, l'escouade supplémentaire à droite. Faire comme lui, ne pas le dépasser, le suivre quoiqu'il arrive.

Il faut couper le fil de fer qui longe le ruisseau pour faciliter la sortie du bois et alléger ses cavaliers pour emporter toutes les cartouches et grenades reçues.

Les autres pelotons du 1er escadron sont prêts eux aussi à passer et à appuyer l'attaque.

 

17h40 - 93e GRDI - 2e escadron motos - 2e peloton -côte 276 est de Tannay

Dans son trou qu'il a regagné, le mdl Avignon voit la lueur du départ d'une salve d'artillerie tirée par les canons du 42e RAT en batterie dans les bois de la Fontaine d'Uchon. C'est la seule, il n'y en a pas d'autres. L'avion d'observation ennemi est en l'air et rôde.

Le mdl Poupard blessé à un pied arrive à lui : c'est le dernier sous-officier du 4e peloton.

Il fait un rapide décompte des survivants du 2e escadron qui sont en pace pour l'attaque :

* PC capitaine Charlois :

  • Capitaine Charlois
  • Adjudant Mamecier
  • mdl Boureau
  • brigadier-chef Wiehn
  • brigadier Beylier
  • cavaliers Menard, Sainjon, Trochet, Blond

* 2e peloton :

  • aspirant Charpenet
  • mdl Avignon
  • cavalier Deyris

* 1er groupe :

  • mdl Bernard
  • VB Caverivière
  • brigadier chef Launais
  • brigadier Delais, Mettas
  • FM Sarthou
  • T chargeur Estaun
  • T brigadier Remesy
  • T FM Lechair
  • chargeur Fraysse

**2e groupe

  • mdl Grenier
  • VB Bravy
  • brigadier Fonquerni
  • pourvoyeur Salaberry
  • FM Claverie
  • brigadier Pegouret
  • pourvoyeur Porte André
  • FM Merciol

* 4e peloton :

  • cavaliers Bouraud, Abel, Kovar, Lacoste, Porte Raymond, Picard, Rabolte, Vergnaud
  • FM Leyx, Peyrot

* Un groupe de mitraileuses du peloton du Lieutenant Blachon du 3e BMC :

  • mdl Chaplaut
  • 1ere pièce : brigadier Jonquet, cavaliers Huguet, Lavaud, Lemarie, Faulcon
  • 2e pièce : brigadier-chef Lapassouse, cavaliers Kawkins, Perical

Au total : 47 attaquants qui, selon l'ordre reçu, doivent être appuyés par des chars B et une compagnie d'un régiment d'infanterie et qui, maintenant, semblent voués à être seuls à partir à l'assaut de Tannay, Pré-Naudin, Canal des Ardennes.

Le mdl Avignon, perplexe, se pose des questions, car l'ordre qu'il a lu lui semble étrange. Il aurait été logique s'il avait spécifié que l'attaque des chars B de 32 tonnes serait appuyée par les cavaliers et la compagnie du régiment d'infanterie, cavaliers et fantassins attaquant en même temps que les chars qui les auraient protégés de leur masse.

Comment les chars pourront-ils tirer sur l'ennemi alors qu'ils auront devant eux, face au soleil, des troupes amies ?

Comment pourront-ils distinguer les troupes amies des troupe ennemies ?

Comment se fait-il que, sur cette cote 276, occupée par un mince rideau de cavaliers, seuls 47 cavaliers du 93e GRDI vont attaquer alors que les 3e et 4e escadrons du 8e chasseurs à cheval ont reçu l'ordre de maintenir leurs positions et que les 3e et 4e escadrons du 1er Hussards, désorganisés par leur lourdes pertes, ne sont pas concernés par cette attaque ?

 

PC capitaine Charlois

Au PC charlois qu'il a rejoint, l'abbé Lantin soigne le cavalier Etcheparre qui, atteint de multiples blessures, a perdu beaucoup de sang.

S'adressant à tout le monde : " je pense que vous êtes tous chrétiens, je vais vous donner l'absolution, nous nous confesserons au repos."

Cette absolution donnée, le cavalier Trochet dont le moral n'est pas entamé s'adresse au brigadier-chef Wiehn : " Alors, nous sommes sacrifiés." Il lui répond : " T'en fais pas, nous nous en sortirons."

Le cavalier Deyris rejoint les cavaliers du 2e peloton.

D'autres blessés du 4e peloton arrivent un à un au PC : les cavaliers Lassignardie, Chassagne.

 

17h55 - 93e GRDI - PC capitaine Charlois - cote 276 est de Tannay

L'agent de transmission revient au PC du 93e GRDI, remet au capitaine Charlois le message " ordre : attaquez !", qui dit " si j'en reviens, il y aura une sérieuse explication ce soir".

Le capitaine Charlois s'adresse aux blessés : "Partez et gagnez les Petites-Armoises, dans un quart d'heure les allemands seront là." , puis aux hommes de son groupe de commandement : "Mettez tous baïonnette au canon. Il n'y a plus d'observateurs, il n'y a plus d'agents de liaison, dans un moment, nous partirons à l'attaque de Tannay. Quand je me coucherai, vous vous coucherez, quand j'avancerai, vous avancerez. "

Il remet à l'abbé Lantin le portefeuille de l'aspirant deReiset et des documents en lui disant de remettre le tout au lieutenant Gautron.

Il s'équipe rapidement des cartouchières et du fusil d'un des allemands fait prisonnier la veille.

Un de ses cavaliers lui dit: " Mais, mon capitaine, si vous êtes pris, vous allez être fusillé." Il ne répond pas.

Le cavalier Menard, qui est sans arme, prend l'autre fusil allemand et met des cartouches dans une de ses poches.

 

2e peloton

Tous les cavaliers scrutent les environs immédiats et le lointain : ni chars, ni fantassins ne sont en vue.

 

Vers 18 h - II/36 RI

Après que la 7e compagnie ait été bloquée par une demi-section de mitrailleuses, adjointe à la 6e compagnie allongée devant elle dans le fossé, le capitaine Miray a vu des hommes franchissant par petits paquets le carrefour cote 229 ( intersection des routes Stonne et Sty ).

Gagnant le carrefour, il s'est rendu compte que la 6e compagnie était presque entièrement passée et a fait signe au sous-lieutenant Richard d'avancer rapidement.

Le capitaine Miray fait alléger ses hommes dans une petite carrière placée à gauche du chemin de la ferme Nociève, à son embranchement de la route de Stonne. A ce moment-là, plusieurs obus tombent sur la ferme Nociève.

La 6e compagnie avance sur la piste Nociève pour gagner sa base de départ - lisière ouest du bois triangulaire, cote 176 ( vers la ferme La Forge en contournant par l'est le bois et en se déplaçant sur les pentes nord-est de la côte 276 ).

Le sergent Besnier, de la 7e compagnie, qui fait la liaison avec le PC du bataillon vient dire au capitaine Miray de pousser rapidement les sections du premier échelon sur le chemin de la ferme de Nociève.

* 1er échelon :

  • 4e section Sous-lieutenant Richard à gauche
  • 3e section Sergent-chef Leduc à droite

* 2e échelon :

  • 4e section sergent Keromen à gauche
  • 1ere section sous-lieutenant Boireau à droite.

 

17h56 - 93e GRDI - PC capitaine Charlois

Le capitaine Charlois, sorti de son PC, est debout, fusil allemand sur l'épaule. Il se retourne vers son groupe de commandement : " Mes enfants, suivez-moi si vous voulez, vous savez où nous allons." Et sans une autre parole, il avance vers Tannay d'où il n'est vu que de lourds nuages de fumée qui s'en échappent.

 

17h59 - 93e GRDI - 2e peloton

Le mdl Avignon regarde sa montre, dans une minute il faudra attaquer et il n'y a aucun tir de notre artillerie, pas un avion français n'est en l'air. Où est la compagnie du II/36 RI et où sont les chars B1bis du 49e BCC qui ne sont pas en vue ? Derrière lui, entre sa position et la route de Stonne, il voit le capitaine Charlois, avançant, un fusil allemand sous le bras droit. Il marche sans tourner la tête pour voir si il est suivi par les hommes de son PC. Il n'a pas à tourner la tête, tous sont derrière lui, en marche, déployés en tirailleurs.

 

18h - 93e GRDI

Le capitaine Charlois est à la hauteur du 2e peloton, son coup de sifflet déchire l'air, les 29 cavaliers des 2e et 4e pelotons sautent de leurs trous, baïonnetteau canon, et foncent sur Tannay; à gauche, les cavaliers du groupe de mitrailleuses courent portant leurs deux mitrailleuses, affûts dressés. Tout le monde est au pas de course.

 

49e BCC

Les 14 chars B1bis engagés arrivent sur leur PD.

Des cavaliers ont été vus par les équipages au passage de la route Le Chesne-Stonne.

La mise en place des chars s'est effectuée sous l'étroite surveillance des observations de l'avion de reconnaissance de l'ennemi et des observatoires de Stonne qui sont entre ses mains.

Dès la traversée de la route Le Chesne-Stonne, l'ennemi a déclenché de violents tirs de barrage par son artillerie située à l'ouest du canal et au nord de Stonne.

Montant sur 286 par le Hochet de Nociève, le char " Riquewihr "- lieutenant Domecq, pilote sergent Ducassou, cap. Cossec, aide-pilote chargeur Voisin - a vu sa route coupée par 2 chars venant de sa droite.

Les équipages des chars se rendent compte que l'infanterie qui devait attaquer n'est pas encore en place et qu'aucune protection feux n'est assurée. Pas de tirs d'appui et de tirs de contre-batterie d'artillerie. Quant à la protection aérienne, aucun avion français n'est en l'air; il y en a un seul en l'air, c'est l'avion d'observation allemand!

 

18h01 - 93e GRDI - 2e escadron moto - côte 276 - Tannay

Les cavaliers ont à peine parcouru quelques mètres que l'artillerie allemande en position dans le verger attenant à la ferme d'Armageat déclenche un tir de barrage très dense et d'une intensité inouïe.

Les cavaliers des 2e et 4e pelotons encaissent la première salve d'artillerie qui les fait plonger au sol; ils n'attendent pas la seconde pour bondir en avant.

Le mdl Avignon passe à côté de la boîte de "singe" que personne n'a ouverte, la tension nerveuse ayant été plus forte que la faim.

Les 77 percutants immédiats, sans interruption, hachent méthodiquement le terrain. Les éclats ronflent, tracent dans l'herbe, dans tous les sens, des sillons de 10 à 20 m de long, auxquels s'ajoutent quelques schrapnells et les balles de mitrailleuses qui fouillent le terrain.

L'air prend très vite une teinte bleuâtre, une étrange odeur se répand.

Le groupe de commandement de Charlois progresse par bons successifs de 5 à 10 mètres, scandés par le sifflet du capitaine d'après la cadence de tir de l'artillerie ennemie.

Le hasard de la progression amène le cavalier Trochet aux côtés du capitaine Charlois et lui dit : " On n'arrivera pas, mon capitaine. " Il lui répond : " Je le sais, c'est idiot, mais c'est un ordre."

Dans le fracas infernal, les cavaliers foncent, plongent dans les trous d'obus qui n'offrent aucune protection, n'ayant ni profondeur et ni surface, rebondissent sans attendre. Il faut à tout prix sortir au plus vite de ce démoniaque tir de barrage.

L'artillerie ennemie ne cloue pas au sol les attaquants mais elle les disperse par petits groupes qui ensuite éclatent. Les cavaliers se perdent de vue, le capitaine Charlois n'est plus visible.

Tout en courant, le mdl Avignon aperçoit sur le terrain des cavaliers morts, de la veille ou de ce jour, ils ne peuvent être du 2e escadron du 93e GRDI, car ils n'ont pas la veste de cuir. Tournant la tête, il voit en retrait sur la gauche le mdl garde mobile Chaplaut abandoner son groupe de mitrailleuses et courir vers l'arrière; le cavalier Lemarie le suit. Sans un instant de flottement, le brigadier-chef Lapassousse prend le commandement des 2 pièces et les mitrailleurs continuent leur attaque en courant, portant à bout de bras les mitrailleuses affûts dressés.

Sans interruption, les obus tombent toujours.

Le mdl Bernard n'a même pas pu parcourir 200 m lorsqu'il est blessé à une main. Il se replie vers le PC.

Sur la gauche de l'attaque, un obus explose entre le brigadier Beylier et le brigadier-chef Wiehn les blessant tous les deux.

Le brigadier Beylier atteint au ventre arrive à courir vers le PC Charlois, le brigadier-chef Wiehn blessé à la cuisse se fait une ligature avec la courroie de son masque à gaz sectionnée par un éclat d'obus et se replie en rampant. Un choc dans son casque, il porte la main gauche à son visage, des éclats sont piqués dans son oreille gauche, et voit les Allemands à 50-60 m. Réunissant toutes ses forces, malgré sa blessure, il court environné des balles de l'ennemi qui ne l'atteignent pas et atteint le PC qu'a rejoint le mdl Bernard et où se trouvent encore les blessés d'avant l'attaque.

L'adjudant Mamecier est tué au lieu-dit " Les Fosses "sur la terre Dutus.

L'extrémité du faux plat est atteinte, c'est maintenant la descente sur Tannay, il est difficile de distinguer vers l'avant, les fusiliers mitrailleurs, en courant, tirent des rafales sur l'ennemi plus deviné que vu devant eux.

En flanc gauche de l'attaque, le tireur Hawkins ouvre le feu avec sa mitrailleuse sur l'ennemi qui déborde sur la gauche.

Un éclat d'obus enlève la réglette de tir de la mitrailleuse du brigadier Jonquet, le brigadier-chef Lapassousse lui crie de tirer à vue.

Un même obus blesse le brigadier-chef Launais aux bras et le brigadier Delais-Mettas , également aux bras - poignets brisés - et au ventre.

Le FM Sarthou fait rapidement une ligature avec la courroie d'un sac chargeur au bras gauche complétement brisé du brigadier-chef Launais. Il donne le FM à son chargeur Estaun qui se brûle les mains en le prenant par le cylindre à gaz.

C'est cette scène qu'aperçoit le mdl Avignon dans sa course, à 40 m environ à sa gauche : un cavalier qui semble avoir les mains et un bras arrachés et un cavalier à genoux qui lui fait une ligature.

Le cavalier Sarthou reprend son FM, avance et tire ses 4 derniers chargeurs. A 10 m de lui, son chargeur Estaun l'appelle. A leur gauche le FM Lechair est mort sur son arme ainsi que tout près de lui le brigadier Remesy tombé à côté du brigadier-chef Garde tué à 17h.

Sarthou se précipite pour prendre le FM de Lechair et les sacs chargeurs afin de continuer le combat. Il ne peut atteindre l'arme, un obus explose, le blesse par 3 éclats au bas du ventre et un dans le bras. Le même obus tue Estaun qui tombe près de l'aspirant Charpenet, déjà tué à 400 m de Tannay.

Le cavalier Caverivière, tromblon VB, court avec une caisse de grenades à chaque main. Il tombe, la jambe gauche pratiquement sectionnée par une rafale de mitraillette, le poignet gauche traversé par une balle, le biceps gauche perforé par un éclat de schrapnel.

Le FM Merciol est blessé à la face par un éclat d'obus, le mdl Avigon se précipite au sol à ses côtés. Il n'y a plus de sacs chargeurs, seul un chargeur est engagé dans le FM.

Dans les parages de la cote 242, à 350 m environ nord de la route de Stonne, Tannay étant en vue, le cavalier Menard saute dans un grand trou et tombe sur le capitaine Charlois, le mdl Bourreau et un autre cavalier. Le capitaine Charlois dit que " deux s'en aillent dans un autre trou, car si un obus arrive, nous serons tués tous les quatres ".

Exécution. Le cavalier Menard fonce en avant, le mdl Bourreau saute dans un autre trou de 2 m de long où gisent les cadavres d'un cavalier français et d'un soldat allemand.

Le tir de barrage devient moins violent sur cette partie de terrain. " En avant et à gauche ! ", crie le capitaine Charlois en sautant.

Les mitrailleuses ennemies tirent à balles explosives. Le capitaine Charlois est atteint d'une rafale au milieu du corps. Le voyant tomber, le mdl Bourreau se porte à son secours, prêt à le remasser, deux balles explosives le frappent : une haut au haut de la cuisse droite, l'autre au talon.

Le capitaine Charlois, dont c'est la fin tragique, inéxorable, a la force de dire : " Va-t'en si tu peux, laisse-moi ! "

Porte-clés et galon du capitaine Charlois, trouvés lors à Tannay

Le mdl Bourreau, se rendant compte qu'il ne peut rien être fait pour le capitaine Charlois, vu l'état de ses blessures, à quatre pattes car il ne peut plus marcher, rejoint puis longe la route de Stonne en direction du PC Charlois, poursuivi par les balles qui griffent le sol autour de lui.

Son deuxième coup de fusil juste tiré, le cavalier Menard, ajusté par un Allemand qu'il n'avait pas vu, reçoit une balle dans le bras droit. Il continue à avancer lâchant le fusil allemand qu'il ne peut plus tenir et tombe sur le soldat qui l' a blessé. Pendant que ce soldat ennemi lui fait un pansement, la cavalier Menard aperçoit une colonne allemande qui monte de l'autre côté à droite.

A 200 m à peine de Tannay, le FM Alfred Claverie, qui a été à demi enterré par l'explosion d'un obus, achève de se dégager.

Les cavaliers du 4e peloton gisent, blessés, sur le terrain : Blond, Bouraud, Abel blessé au mollet, Kowar blessé à une jambe, Leyx blessé au creux des deux genoux, Vergnaud, Raymond Porte blessé à la gorge.

Allongé sur le sol, le cavalier Louis Fraysse a à sa droite les cavaliers Picard et Deyris, ce dernier un peu plus loin. Un obus explose, blesse mortellement Picard, Deyris reçoit une balle dans une jambe et revient vers Fraysse. Un deuxième obus éclate tout près, Deyris tombe, mort, les bras en croix face contre terre à 3 m de Picard. Fraysse a les cils et les yeux brûlés par la déflagration, la figure pleine de petits éclats, un autre à la tempe droite et à l'épaule.Son casque est cabossé. Il l'enlève et le sang coule le long de sa figure. Il n'y a plus d'éclatement d'obus, seules les balles sifflent.

Les Allemands sont à un cinquantaine de mètres de lui; sous les balles, il remonte la pente en courant et s'arrêtera épuisé près des positions de départ et de là, seul, gagnera les Petites-Armoises.

Le mdl Avignon et le FM Merciol s'aplatissent au sol en fin d'un autre bond et, subitement, il n'y a plus d'obus : ils tombent derrière eux, s'éloignent en quelques secondes. Le tir de barrage s'est relevé et s'arrête.

Rapidement, le mdl Avignon, encore tout assourdi par le bruit des explosions, inspecte le terrain.

Loin derrière, complètement à droite et complètement à gauche, des Allemands sont presque arrivés vers le haut de la côte.

Assez loin vers la crête, un cavalier court, tiré par un Allemand qui le manque.

Les maisons de Tannay, à droite de l'église qui achève de brûler, sont à 150 m environ.

Devant lui, à 10 m, le brigadier Fonquernie tire un coup de mousqueton. Derrière lui, à quelques mètres, les cavaliers André Porte et Bravy sont debout, mousqueton à la main, hésitant à tirer puis lèvent les bras.

A 15 m du brigadier Fonquernie, une hallucinante marée allemande s'est brusquement levée. Dans un coude à coude impressionnant, l'ennemi avance.

Le souffle coupé, le mdl Avignon regarde cette épaisse masse compacte qui s'allonge sur 600 m environ. Fortement impressionné, il l'estime à 1500 hommes.

FM en mains prêt à tirer, il hésite : il n'y a que le seul chargeur, peut-être à moitié vide, engagé dans l'arme et le tir risque, par riposte, de faire tuer le brigadier Fonquernie et les cavaliers Porte et Bravy.

En 2 ou 3 secondes, l'ennemi est là. Mis en joue, le mdl Avignon et le cavalier Merciol se lèvent laissant à terre FM et le mousqueton chargé à balles.

Sur la gauche de l'attaque, le tireur mitrailleur Hawkins est blessé à la face et à la main droite par des éclats de 77, le brigadier-chef Lapassousse prend sa place; après plusieurs bandes tirées, la mitrailleuse ne marche plus, il la démonte et extrait un bout de culot de cartouche resté dans la chambre.

A ce même moment, apercevant un Allemand debout qui le met en joue, il prend en un éclair son mousqueton à portée de main et tire avant l'ennemi.

Il remonte la mitrailleuse puis continue le tir sur l'ennemi maintenant tout près, qui avance en chantant. Dans son axe de tir des cavaliers prisonniers se lèvent. Les quelques secondes d'arrêt marquent la fin des mitrailleurs qui sont entourés par l'ennemi et faits prisonniers.

 

18h - 16e BCP

Après de durs combats et d'énormes pertes, Tannay étant aux mains de l'ennemi, les survivants des 2e et 3e compagnies du bataillon font face, depuis 15h de l'après-midi, sur la route Le Chesne-Stonne, en position dans les fossés.

 

3e compagnie :

Ayant été averti de la contre-attaque à 18 h, le capitaine Fosse s'est élancé avec la poignée de Chasseurs qui lui restent.

Il progresse d'environ 300 m entre Bar et le canal dans le couloir de verdure qui borde le ruisseau et se heurte dans un combat à bout portant extrêmement violent à l'ennemi infiltré.

A bout de force, n'ayant plus que 30 combattants, il doit, sous la réaction adverse, reculer jusqu'à la N77 d'où il était parti et qu'il atteindra à 19 h.

Il s'installera à droite de la 1ere compagnie du capitaine de Susbielle.

 

2e compagnie

Le commandant Waringhen mène en tête, à 18h, une attaque sur Tannay après avoir rassemblé les débris de la 2e compagnie ( 40 Chasseurs environ, tous les officiers sont hors de combat ) et tout le personnel de son PC de combat : agents de liaison et de transmission, secrétaires...

Partant de la N77 du carrefour et à l'est, les Chasseurs s'élancent.

L'ennemi veut empêcher toute tentative pour reprendre Tannay et, dès le débouché des Chasseurs, déclenche un tir de barrage très violent qui arrête leur progression au bout de 150 m. Ils sont obligés, après des pertes sérieuses, de revenir sur leur point de départ.

La 1ere compagnie moins touchée a eu néanmoins des pertes causées par l'artillerie, c'est autour d'ell que se cristallise l'ultime résistance appuyée au canal à Pontbar et quoique sans liaison solide à sa droite à cause du vide existant entre les débris des 2e et 3e compagnies.

 

18h20- 93e GRDI - 2e escadron moto - cote 276 - Tannay

Avec leurs fusils pointés, les Allemands font signe de lever les bras. Le mdl Avignon s'éxecute et, dans ce mouvement, regarde sa montre, il est 18h20.

Un Allemand se précipite sur lui en hurlant, FM pointé : c'est son revolver qu'il veut. Il le prend et le passe à son ceinturon puis c'est un autre qui veut et qui prend les jumelles.

Le groupe de prisonniers est formé du mdl Avignon, du brigadier Fonquernie et des cavaliers Bravy, Merciol, Porte; quelques secondes après, le cavalier Alfred Claverie, qui était au sol à côté d'A. Porte, est joint à eux.

Le soldat allemand, qui a fini de panser le cavalier Menard, lui fait signe d'avancer vers Tannay.

Où est passée la couverture aérienne de H-20 à H+1 h ? Aucun avion ami n'a été en vue alors que l'avion d'observation ennemi est resté maître du ciel.

Quels ordres ont reçu les artilleurs ? Aucun tir d'appui et de contre-batterie n'a eu lieu. Leur a t-on donné H=18 ?

Où sont les fantassins du 2/36 RI?

Où sont les chars u 49e BCC ?

Pas un seul coup de feu ne retentit, c'est le silence total, aucun élément ami n'est venu ni à droite, ni à gauche, ni à l'arrière. La situation est totalement ridicule, risible même, de par le déséquilibre des forces en présence : 47 cavaliers lancés face à un bataillon et demi d'Allemands, qui se retrouvent maintenant à 6, les bras levés, devant cette masse et ne connaissant pas le dénouement tragique de cette attaque.

Restes du FM du cavalier Alfred Claverie

En 2 ou 3 minutes, l'ennemi a fait prisonniers d'autres cavaliers épars sur le terrain et a amené au petit groupe les cavaliers Raymond Porte blessé à la gorge, Rabolte, Peyrot du 4e peloton. 9 cavaliers sont ainsi ramassés, bras en l'air.

Ayant dévié en biais et sur leur droite, les cavaliers Sainjon et Trochet, agents de transmission du PC Charlois, sont environ au tiers du trajet entre le PC et Tannay qu'ils ont en vue.

Ils avancent par bonds. Se relevant, Trochet se trouve nez à nez avec un jeune soldat allemand qui longe le tir de barrage; leurs regards se croisent l'espace d'un éclair. L'ennemi attaque brusquement à la baïonnette, Trochet pare avec son mousqueton, le bois en est coupé jusqu'au canon. Retournant son arme en un geste violent, la crosse atteint la figure de l'Allemand qui tombe sur le dos et ne bouge plus.

Tout cela n'a duré que quelques secondes, les deux cavaliers continuent leur même progression et, au bout de quelques dizaines de mètres, ils tombent littéralement dans les bras d'ennemis qu'ils n'avaient pas vus et qui, immédiatement, arrachent leur mousqueton d'entre leurs mains. Sans qu'ils aient fait encore le moindre geste, un Allemand prend le portefeuille de Sainjon qui le récupère tout de suite d'un geste rageur. L'Allemand recule d'un pas tout en dégainant son revolver : la première balle est pour Sainjon, elle entre par la tempe droite et ressort derrière l'oreille gauche, il tombe en travers devant Trochet. La deuxième est pour Trochet qui tombe, le bras gauche déchiqueté. Les Allemands ne s'occupent pas de lui, le croyant mort.

Le mdl Grenier et le cavalier Salaberry voient et entendent un officier allemand crier à 20-30 m d'eux : " Haut les mains, plus haut, plus haut ! ". Voyant que toute résistance est impossible, ils rampent vers l'arrière en direction des Petites-Armoises sans passer par le PC Charlois.

Le tireur FM Lacoste a une légère coupure à un doigt provoquée par un éclat d'obus. Il vient de faire deux garrots aux bras droit et gauche à deux cavaliers avec des courroies de sac chargeur. Il n'y a plus personne avec lui. Apercevant Trochet étendu, il se porte à sa hauteur et n'ayant plus de courroie, lui garrote rapidement le bras gauche avec son cache-col.

Il repart, saute dans un trou peu profond; accroupi au fond, il essaie de manoeuvrer le culasse du FM qui ne marche plus; il n'y a rien à faire, l'arme est hors d'usage.

Les Allemands arrivent, dommage que le FM ne puisse fonctionner; alors il prend son revolver, il entend : " Lève les bras et viens ici. " Le temps de se relever, il a aussitôt une mitraillette appuyée sur le menton; questionné, il est tellement saisi qu'aucun son ne sort de sa bouche. " Réponds ou je tire, si vous n'aviez pas tiré, regarde tes camarades ! " Lacoste est poussé vers le petit groupe de prisonniers vers le bas de la pente.

Le brigadier Pégouret arrive au groupe de prisonniers, les deux mains appuyées à son ventre; il est sérieusement blessé.

Le cavalier Menard blessé y arrive à son tour, puis c'est le cavalier Lacoste qui rejoint.

 

49e BCC- cote 276

L'apparition des chars sur la cote 276 et le débouché sur le glacis de la ferme La Forge de ceux qui vont attaquer sur la ferme Le Moulinot déclenche des tirs d'artillerie ennemis d'une extrême violence sur toute cette zone.

Les chars sont également pris à partie par de nombreux antichars, 37 et 47, qu'ils repèrent difficilement, aveuglés par la poussière.

Au sud du bois triangulaire, les positions du 8e Chasseurs sont traversées par des chars; le mdl Cazals du peloton Millet, 3e escadron, fait signe à l'un d'eux, 15 m derrière lui, de s'éloigner car leurs tirs sur l'ennemi provoquent la réaction de l'artillerie et les obus s'abattent sur les chasseurs.

A 300 m ouest de la ferme " Mon Idée ", le char 347 "Mercurey" du lieutenant Dumont est le premier touché, percuté de plein fouet par un obus d'artillerie. Le pilote-sergent Gaudot Georges est tué à son poste de pilotage, l'aide pilote caporal Leverdez est légèrement blessé. Toutes les commandes ayant été saccagées par l'explosion, le char inerte doit être abandonné. L'équipage réussira à regagner à pied le bois de Sy, ramenant le corps du sergent Gaudot.

Le char B1bis 347 " Mercurey "

A l'extrême droite du dispositif, le char 381 "Rouleguy" est hors de combat et abandonné sur la N77 à la ferme de la Tuilerie. Le char 394 "Chablis" du lieutenant Meilhan est déchenillé à droite à la corne nord du bois triangulaire. Le char "Toutal" 382 du lieutenant Caravéo est percé à l'arrière par 4 obus antichars provoquant un début d'incendie vite maîtrisé. L'un d'eux a traversé un réservoir d'essence sans exploser (au retour sur la PD, le char sera évacué par la CE sur l'arrière pour enlever un antichar non explosé logé dans la transmission).

Le char 390 "Frontignan" du sous-lieutenant Barthélémy, qui est dans le dispostif de droite axé sur la ferme " Mon Idée", se fait tirer de partout.

Plus à droite, le lieutenant Massenet du 14e GRCA, se place devant un char pour lui indiquer une mitrailleuse qui débite un feu d'enfer sur la gauche. Un obus de fort calibre explose à côté de lui : il tombe, la cuisse droite déchiquetée. En cours de combat, le lieutenant Caravéo fait arrêter son char et, aidé de son pilote et du co-pilote, ramasse le lieutenant Massenet et le charge dans le char. Malheureusement, il a l'artère fémorale sectionnée et décédera. C'est un cadavre que l'équipage débarquera au retour sur la PR.

Le char "Chambertin" 378 - équipage lieutenant Godinat, pilote-sergent Roy, aide-pilote caporal Hyenne, radio chasseur Conscience - tombe en panne de Naeder sur le glacis vers Chautreune. Le dépannage est effectué sous le feu, la progression est reprise mais il retombe à nouveau en panne, joint de Naeder à changer. La réparation est effectuée toujours sous le feu à l'extérieur du char en une demi-heure.

Dans le char "Tavel" 348 - lieutenant Jacquelin, pilote sergent-chef Osieka, aide pilote caporal Journet, radio caporal-chef Roger - le radio crie au pilote " Tu brûles ! " et éteint le feu qui couve dans son chèche.

Osieka se demande pourquoi il brûle. Au même moment de sa réflexion, dans l'obscurité du char, sa main ne sent plus une branche du volant. Baissant la tête pour discerner ce qui se passe, il voit un rayon de soleil qui s'arrête à son ventre et un trou dans le blindage par lequel passe ce trait lumineux.

Il se dit : " J'ai un obus dans le corps ", et crie au caporal Journet : " Je vais mourir, préviens le lieutenant."

Passant une main sur son ventre, il ne trouve pas de sang et continue à piloter.

Un obus avait percuté un rivet, cisaillé la tête et l'avait projeté porté au rouge à l'intérieur du char, cisaillant dans sa trajectoire une branche du volant et était tombé dans le chèche du pilote qu'il avait enflammé. ( La branche du volant et le rivet seront retrouvés sous le plancher du char.)

Le "Tavel" n'arrête pas le combat et lâche des obus de 75 sur tous les points lumineux, départ des coups de feu ennemis, qu'il aperçoit. Par les fentes de visées, le chef de char et le pilote voient passer les balles traçantes.

Le char "Riquewihr" 356 descend la pente de 276 vers les Terres Tortues, lâchant ses obus sur l'ennemi qui en occupe le fond. Un de ses obus tue le servant d'un antichar allemand, les autres servants se sauvent puis reviennent et reprennent le tir contre les chars.

 

18h24 - 93e GRDI - 2e escadron moto - Tannay

Les fantassins ennemis, avec des menaces, encadrent les prisonniers; tout mouvement est interdit, mais le mdl Avignon a réussi à reculer et se trouve à l'arrière du groupe. Inspectant le terrain avec un vague espoir de fuite, il voit 2 chars B1bis surgir de la crête. L'un débouche à 100mnord de la route de Stonne, sensiblement dans l'axe du PC Charlois, l'autre, à 500 m plus au nord, passe entre les corps du mdl Thévenoux et du soldat allemand, évite les mines antichars non enterrées et s'immobilise à la hauteur du buisson devant lequel se trouve l'AM du 6e GRDI hors de combat.

Au moment où le brigadier-chef Lapassousse encore à côté de sa mitrailleuse avec ses hommes est entouré d'ennemis, il voit derrière en haut de la côte la tourelle d'un char français. Un officier allemand, torse nu, une blessure à la poitrine, s'avance et lui demande en français des renseignements sur son unité et sa division; n'obtenant pas de réponse, il demande : " Qui a tiré le dernier à la mitrailleuse ? " Le brigadier-chef Lapassousse répond : " C'est moi. " L'officier allemand lève le bras et lui tire une balle dans la tête. Le sang coule à flot. Le cavalier Jonquet prenant son paquet de pansement individuel se penche pour essayer d'arrêter l'hémorragie et reçoit un magistral coup de pied aux fesses ponctué par des cris et gestes, qui l'envoie avec ses camarades rejoindre les autres prisonniers.

Un officier allemand s'avance et photographie le groupe de prisonniers qui est maintenant au nombre de 15, car viennent de le rejoindre le brigadier Jonquet et les cavaliers Huguet, Lavaud, Faulcon, Pérical et Hawkins, blessé, du groupe de mitrailleuses.

Le mdl Avignon regarde les 2 chars immobiles. Celui du côté de la route de Stonne n'ouvre pas le feu, mais celui qui est à son nord a tiré, dès le débouché de la crête de Tannay, du 75 et à la mitrailleuse, neutralisant 2 canons antichars près desquels une dizaine de silhouettes apparaissent derrière une mare non loin d'un bâtiment de ferme en feu à 600-800 m. Les brancardiers allemands semblant être mélangés à la troupe ramassent rapidement les blessés. Un brancard passe sur lequel gît un soldat allemand le visage tout noir, comme brûlé.

 

18h30 - 93e GRDI - PC Charlois

Le mdl Bourreau arrive péniblement en vue du PC Charlois; le cavalier Bareau se porte à son secours et l'aide à gagner le PC où attendent tous les blessés.

 

18h30 - 93e GRDI - 2e escadron moto - 1er peloton Hécré - cote 242 - route de Stonne - sud-ouest de Tannay -

Le tir d'artillerie terminé, le mdl Reillier et le cavalier Mondy, relevant la tête, voient les chasseurs du 16e BCP en position dans le fossé le long de la route.

Ils cherchent, en vain, le lieutenant Hécré et ses hommes. "Ils sont partis depuis fort longtemps ", leur dit un officier du 16e BCP.

Avec un fusil donné par les Chasseurs, ils font, avec eux, le coup de feu sur les Allemands qui progressent en rampant de l'autre côté de la route.

 

Groupe de prisonniers sur le terrain

Un sous-officier allemand vient au groupe de prisonniers et, en un français parfait sans aucun accent germanique, leur donne l'ordre " A genoux ! ", puis, cela exécuté, les fait relever et leur dit : "Vous allez voir le char français tirer sur vous !"

Un soldat allemand, FM en mains, bandes de cartouches suspendues à son cou, se met en batterie au pied du groupe de prisonniers et, sans aucune interruption, tire sur le char qui est le plus au nord, le 357 "Ribeauvillé", chef de char lieutenant Valois, pilote-sergent Honor.

Probablement sous l'effet de pompage, le char pivote sur sa gauche, se place dans l'axe du FM allemand et donc du groupe de prisonniers. Il s'immobilise, le canon de 75 étant dans l'axe du canon de 47, se relève lentement et s'arrête.

Le mdl Avignon a dû être le seul à voir cette scène, tous les autres ont le regard fixé vers l'avant, et il attend le coup de canon qui va pulvériser les survivants de l'attaque.

L'attente pénible de la mort s'éternise, les secondes paraissent durer des heures.

Aucun coup de canon n'est tiré, le chef de char et le pilote ont dû discerner les prisonniers derrière l'arme allemande qui n'arrête pas de tirer. En réalité, alors que le sergent Honor était prêt à lâcher un obus de 75, le lieutenant Valois l'a arrêté en lui hurlant : "Ce sont des Français !" Il avait vu en pointant le 47.

 

18h35

Le char fait brusquement demi-tour, l'autre char du côté de la route de Stone en fait autant. N'ayant aucun appui sur cette crête, ils disparaissent définitivement derrière elle.

Les chars partis, les fantassins allemands, qui s'étaient camouflés dans le gros buisson avant le haut de la côte, en ressortent, s'approchent de l'AM et regardent à l'intérieur.

Le sous-officier allemand demande aux prisonniers s'il y a quelqu'un dans l'AM; après leur réponse négative, il les fait avancer vers Tannay.

Le brigadier Pégouret tombe d'une seule masse face à terre et ne se relève pas, interdiction de lui porter secours. Un cavalier sérieusement blessé est porté sur une échelle par 4 cavaliers.

 

18h30 - II/36 RI - 7e compagnie - ferme Nociève

Le capitaine Miray fait presser son premier échelon. Il le voit dévaler vers la ferme Nociève, mais cette précipitation nuit à la bonne cohésion des groupes. Alors, il presse son deuxième échelon.

La 7e compagnie monte vers sa base de départ qui est à 1000 m de la ferme Nociève : 300 m nord-ouest de la cote 240 - cote 276 - lisière ouest du bois Le Chaufour, dit bois triangulaire.

Le capitaine Miray rencontre le capitaine Saubagne qui s'inquiète du retard et craint qu'il compromette le succès de la contre-attaque.

Les échelons montent la pente abrupte qui, de la ferme Nociève ( cote 221 ), monte à la cote 274. Après, il y aura pour les éléments de gauche qui auront atteint la cote 266 la descente du Bochet de Nociève et à nouveau une montée pour atteindre la ligne de la cote 276.

Entraînant la 4e section, le capitaine Miray gravit rapidement la cote montant vers 276. Il n'y a plus de cohésion dans les groupes. Les chargeurs et pourvoyeurs chargés de lourds sacs de munitions suivent mal les FM.

Le sous-lieutenant Boireau, commandant la 1ere section, a pu rattraper la 4e section. Le capitaine Miray le dirige à droite pour rechercher la liaison à la fois avec la 3e section et la 6e compagnie à droite.

 

18h45 - 1er Hussards - 1er et 2e escadrons - lisière ouest et sud-ouest du bois du Mont-Dieu.

A la lisière sud-ouest, le sous-lieutenant de Waru du 1er escadron fait mettre en place tout son peloton en bordure du fossé d'écoulement qui borde le bois afin que tous examinent le terrain à parcourir et prennent des points de repère. Le peloton est prêt à agir dès que les chars arriveront.

 

93e GRDI - 2e escadron moto - groupe de prisonniers - Tannay

Le cavalier Menard, convoyé seul, est bien loin en avant du groupe de prisonniers qui passe entre l'église de Tannay complètement détruite; des flammes courent sur les débris fumants et une maison écroulée. En face, la mairie dont il ne reste qu'un pan de mur et la maison qui fait angle avec de la N77 et de la D8, vis à vis de la mairie, est un immense brasier; les prisonniers passent dans le suffocant souffle de chaleur.

Des Allemands, l'arme à la bretelle, circulent au sud de Tannay sur la N77, au-delà du café Chavariat dont il ne reste qu'un pan de mur de la façade; d'autres passent devant les ruines du café Godet, prenant le chemin qui rejoint la route de Stonne à la cote 232. Du côté nord du village, d'autres Allemands circulent en grand nombre.

A 250 m de la mairie, le groupe de prisonniers convoyé par un seul soldat ennemi quitte la D8 pour prendre,à droite, un chemin de terre qui se dirige au nord et vers le canal des Ardennes.

Après 250 m parcourus, le chemin présente un virage à gauche puis à la suite un virage à droite.

Le groupe de prisonniers est entre ces deux tournants; ceux qui portent un blessé par les pans de son manteau se baissent pour le poser à terre, un pan du vêtement venant de glisser des mains de Lacoste : les boutons se sont cassés.

A ce moment-là, le mdl Avignon voit en face 5 ou 6 Allemands traverser le chemin et les lueurs d'une rafale de mitraillette tirée par l'un d'eux. Il sent des frôlements à sa joue gauche, y porte la main : il n'y a rien.

L'Allemand convoyeur pousse des hurlements.

Le tir de face n'a atteint personne mais par une circonstance extraordinaire, au même moment, un groupe d'Allemands qui n'avait pas été vu, camouflé à gauche derrière la bordure du chemin, a lâché 2 rafales de mitraillettes dans le dos des prisonniers. André Porte, au côté gauche du mdl Avignon, fait deux pas en avant, tombe face à terre, le sang gicle en 5 jets de son épaule droite à travers la veste de cuir. A l'arrière, un autre cavalier tombe mort a côté de Claverie, face contre terre, un flot de sang jaillit par saccades d'un trou dans sa nuque.

Le mdl Avignon se précipite vers Porte, mais le soldat ennemi convoyeur levant son fusil avec le geste du coup de crosse l'empêche de lui porter secours et, avec force de cris incompris et de gestes menaçants, le fait avancer.

Chaque arbre de Champs-Pailleux et Pré-Naudin abrite un groupe d'ennemis et de nombreuses armes anti-chars.

La partie encore visible de la pente de la cote 276 est calme, aucun coup de feu, aucun tir d'artillerie qu'il soit ami ou ennemi, aucun mouvement.

Sur la berge est du canal, ligne continue d'Allemands qui ont presque tous des insignes de régiments français, dont celui du 1er Hussards. Ils offrent du vin et des cigarettes aux prisonniers. Leur attitude est un contraste frappant avec celle des attaquants de première ligne, elle n'a aucun signe d'hostilité et beaucoup parlent français.

Parmi les Allemands en bordure du canal, à l'endroit où le traverse le cavalier Menard, l'un d'eux lui dit qu'il avait habité rue d'Antony à Limoges.

Attente pour traverser le canal. Le cavalier Porte arrive, livide. Le mdl Avignon se porte à son secours, l'aide à arriver jusqu'à la berge; sans rien dire, un soldat allemand sort son paquet de pansement individuel, le lui tend. 5 morceaux d'os traversent l'avant de la veste de cuir, au sommet de l'épaule droite. Le mdl Avignon la découpe au couteau. Le pansement est bien difficile; la veste devenue inutilisable est laissé sur la place après que le portefeuille en soit retiré. Après avoir été blessé, Porte s'était relevé puis s'était assis sur le bord du fossé, sa vision étant un brouilard. Se relevant à nouveau au bout d'un moment, des Allemands lui avaient fait signe d'avancer vers le canal.

Les autres prisonniers ont déjà traversé le canal sur un des nombreux bateaux pneumatiques. Le pansement terminé, le mdl Avignon et le cavalier Porte le traversent à leur tour. Ils avancent sur le chemin de halage, les soldats ennemis les regardent passer.

La rive ouest du canal est encombrée de nombreux véhicules divers, de motos. Il y a aussi des tombes en bordure du bois. L'ennemi est partout en masse.

La comparaison entre la multitude de ces réserves, l'importante force en première ligne à laquelle se sont opposés les 47 cavaliers du 93e GRDI qui se sont sacrifiés en défendant la cote 276 et Tannay en est grotesque. Le mdl Avignon comprend alors pourquoi le capitaine Charlois a dit juste avant l'attaque : " Si j'en reviens, il y aura une sérieuses explication ce soir."

Beaucoup plus loin, ils rencontrent le cavalier Menard qui est joint à eux; il a passé seul le canal et pas au même endroit.

Il n'a pas été amené par le même chemin. En cours de route, il est passé devant des cadavres empilés les uns sur les autres, formant un mur d'environ 50 m de long sur 2 m de haut. Passant devant la tête de ces cadavres, il a reconnu quelques morts français mêlés aux morts allemands, à proximité une immense tente avec une croix rouge.

 

19h 1er escadron à cheval - 93e GR

Le cavalier Berdou, agent de liaison du lieutenant Blardat ( commandant les escadrons à cheval ), a été tué au cours d'une reconnaissance que lui a ordonnée, dès son arrivée aux Petites-Armoises, le commandant de La Londe, alors qu'il avait été envoyé de Verrières seulement en liaison au PC du 93e GRDI.

 

1er Hussards - 1er escadron - lisière sud-ouest du bois du Mont-Dieu

Le sous-lieutenant de Waru guette à la jumelle le débouché des chars sur les hauteurs de la cote 276 et Chautreune. Plus à gauche, le lieutenant Desprez en fait de même.

Enfin, voilà les chars. Ils descendent lentement entourés dès leur apparition par les obus de l'artillerie ennemie. Ils glissent au flanc de la colline; des fantassins suivent derrière. Maintenant, ils ne bougent plus, cloués au flanc de la pente par l'artillerie complètement déchaînée. Il semble au lieutenant Desprez que des tourelles volent en l'air.

Aucun autre char ne franchit la crête; les chars arrêtés, les fantassins ne suivent plus.

 

II/36 RI - cote 276

Le 1er échelon a dépassé le chemin de terre allant de 276 au bois triangulaire; alors qu'il est près de la base de départ, un tir de harcèlement continu de l'artillerie ennemie se déclenche. La progression s'effectue par bonds.

Des rafales de 12 à 15 obus s'abattent tantôt sur une section, tantôt sur une autre.

Alors qu'il est sensiblement à proximité du chemin de terre est-ouest allant à Tannay, le sous-lieutenant Richard reçoit un projectile dans le poignet gauche, puis a le bras droit arraché par éclats d'obus. Les sergents Beaufils et Picard, de sa section, sont tués.

Le capitaine Miray cherche des yeux la section du sous-lieutenant Richard. Arrivé sur le plateau au sud du bois triangulaire, il dépasse une ligne de combattants disséminés dans des trous individuels, qui lui disent être là depuis le matin et lui souhaitent bonne chance, puis voit dans des trous individuels des cadavres allemands au teint cireux. Avançant toujours, c'est maintenant le terrain de la contre-attaque qui dévale vers la N77 qu'il distingue nettement au-delà le Pré-Naudin. Il s'avance vers Tannay, qui n'est pas en vue, afin de bien placer dans la bande de son secteur pour se rabattre ensuite vers le Nord-Ouest.

Il voit au loin à sa gauche un char H-39 immobilisé devant un gros buisson. Il ne s'agit pas d'un des chars qui devait appuyer l'attaque, il n'en pas encore vu.

Une rafale d'obus s'abat sur les sections qui sont avec lui.

Alors qu'il panse le sergent Furon, de la 2e section et dont un oeil pend sur sa joue, des balles crépitent au-dessus des têtes.

En direction de Tannay, il aperçoit une ligne de tirailleurs qui s'avancent en criant : "Français, ne tirez pas ! Français, ne tirez pas !" Il hésite un instant mais leur accent est bizarre, s'agirait-il d'une attaque allemande débouchant de Tannay qui lui avait indiquée dans l'ordre écrit de contre-attaque comme tenu par le 16eBCP mais qu' au dernier moment le lieutenant Marx le lui avait donné comme occupé par l'ennemi.

Immediatement, il fait face à cette attaque de flanc par 2 FM de la 4e section qui sont à portée de voix en se reculant de 50 m pour avoir, étant couchés,un bon champ de tir.

Pendant qu'il observe, un genou en terre, le capitaine Miray a la main gauche, fermée sur ses jumelles, traversée par une balle de mitraillette qui lui siffle à l'oreille.

Derrière lui, le lieutenant Blondel arrive avec ses mitrailleurs épuisés par leur marche de 6 km avec le matériel porté sur le dos.

Il faudrait qu'il puisse se mettre en batterie mais une nouvelle rafale d'obus arrive et, lorsque le capitaine Miray se relève, il y a du flottement. Les blessés redescendant à l'arrière, les groupes sont complètement disloqués. Il reçoit un éclat d'obus dans le bras gauche.

Les balles claquent toujours, les Allemands avancent peu à peu en longeant la crête en direction du bois triangulaire, ayant rabattu sur leur gauche leur contre-attaque de Tannay.

 

19h - A l'est - 1ere B.S. - bois du Fay - Oches

L'ennemi cesse toute attaque mais garde un contact étroit.

La situation de la la 1ere BS devenant critique à l'ouest d'Oches, le colonel Jouffrault ne s'oppose pas au repli des escadrons du 4e SM du commandant Brunot sur la ligne 253-Oches, mais il prescrit l'envoi de patrouilles de contact sur la ligne précédemment tenue au nord-ouest d'Oches.

A la brigade, parvient les nouvelles des différents points du front : les Allemands rompent le combat et se retirent sans attendre la nuit. Le capitaine Andréa de l'EM de la brigade, étant allé vérifier l'occupation de la nouvelle ligne du commandant Brunot à quelques centaines de mètres en arrière de celle tenue le jour, a poussé vers la côte 235 pour prendre contact avec la compagnie du 51e RI. Il revient précipitamment pour rendre compte qu'il a vu à la jumelle une importante troupe d'infanterie ennemie se rassembler en colonnes et se retirer par la route de la Berlière.

Le commandant Vivet arrive à la brigade, étant à l'est dubois du Fay pour essayer de dépanner ses chars; il a assisté à un repli des fantassins ennemis du nord de la Berlière dans la région de la cote 269 et des brancardiers parcourant le terrain qu'évacuait l'infanterie.

 

19h30 - 19h45 - II/36 RI

Une fusée blanche tirée par l'ennemi, également vue par les artilleurs du 42e RA à Fontaine Uchon, apparaît au-dessus de ses attaquants; les tirs d'artillerie ralentissent sur la cote 276, cessent ou sont reportés plus loin.

Les assaillants ennemis ont disparu aux vues du capitaine Miray qui se replie vers le bois triangulaire. Il rencontre le sous-lieutenant Boireau, commandant la 1ere section du 2e échelon, grièvement blessé, appuyé au bras du segent-fourrier Besnier envoyé aux renseignements par le capitaine Saubagne.

 

19h45 - II/36 RI

Portant à l'épaule un FM ramassé a côté d'un Noir tué d'une balle dans la nuque, le capitaine Miray descend vers le chemin de la ferme Nociève. Il aperçoit alors un char B qui longe la haie au-dessus de ce chemin et demande au chef de char s'il peut remonter sur la cote 276 pour entraîner et appuyer les éléments de sa compagnie qu'il a encore sous la main. Le chef de char lui répond qu'il regrette car il a rempli sa mission et n'a pas d'autres ordres que celui de rallier la position de rassemblement.

Le capitaine Miray, toujours sans nouvelles de ses sections de premier échelon, trouve le capitaine Saubagne au PC bataillon à la corne est du bois triangulaire dans le chemin de la ferme Nociève, lui fait son compte rendu puis retourne sur la base de départ.

Il trouve le sergent-chef Gratigny, adjoint du sous-lieutenant Richard, et apprend que le sous-lieutenant est grièvement blessé et sa section très éprouvée.

La 6e compagnie serait, paraît-il, arrivée vers son premier objectif, aux parages de la ferme Le Moulinot.

 

II/36 RI - 5e compagnie

La 5e compagnie reçoit l'ordre de dépasser et de prendre à son compte l'objectif de la 7e compagnie décimée, elle avance en formation colonne double, 1ere et 2e sections en 1er échelon, la 4e à l'ouest, et 2e et 3e section en 2e échelon.

 

19h30 - 93e GRDI

Le cavalier Leyx a été blessé un peu avant que Sainjon soit tué et Trochet blessé, il est en avant d'eux.

Il a essayé de se replier mais n'en a pas eu le temps, rapidement entouré et dépassé par les Allemands montant vers le haut de la crête.

Relevant la tête, il aperçoit Trochet, se porte à lui, lui enlève son cache-col en soie et fait un deuxième garrot à son bras gauche dont l'avant ne tient que par la peau.

Les Allemands ne leur portent aucun secours.

Trochet met les restes de son bras dans la bretelle du casque à gaz, se tourne du côté droit, aide Leyx à se relever, puis se lève lui-même.

L'un soutenant l'autre, se tenant par le cou, ils avancent sous les injonctions des soldats ennemis vers le nord de Tannay, accompagnés à un moment par un jeune soldat allemand allant se faire soigner à un poste de secours ayant le poignet taversé par une balle. Il permet à Lacoste de prendre un bâton pour s'aider à marcher.

Au nord de Tannay, ils sont arrêtés par un officier allemand qui leur demande : "Que comptiez-vous faire ?" Les deux cavaliers ne repondent pas. "Vous vouliez reprendre le village ? - Oui, répond Leyx. - Eh bien vos officiers sont fous. regardez !"

Les deux cavaliers sidérés, quoique Leyx le fut un peu moins, ayant observé au matin l'ennemi qui traversait le canal en masse, regardent la nuée d'Allemands dont une partie fourmille sur la pente de Tannay et le gros étalé tout le long de la lisière nord du village. Enormément de trous individuels le long du talus de la N77 et des allemands morts. Au matin, Leyx avait dit "ils sont 2000". Là, il se dit "mon compte y est".

Ils sont dirigés à pieds à la ferme d'Armageat où ils sont séparés : Leyx dans une grange sur la paille, Trochet dans l'étable à vaches sur du fumier.

Il y a de nombreux blessés allemands dans cette ferme.

A la nuit, Trochet, n'ayant eu aucun soin et pensant n'être pas repéré, quitte en se défilant le poste de secours avec l'intention de rejoindre les Hussards qui sont au plus près, car il sait où ils se trouvent; dans son épuisement, il ne pense pas au canal à traverser.

Ses forces n'étant plus que volonté, il tombe évanoui; ramassé par les Allemands, il est transporté dans une toile de tente et se réveille dans l'étable de la ferme d'Armageat à côté d'un autre blessé qui lui raconte comment il a été ramené ici.

Leyx, après un premier pansement et une piqûre, dormira jusqu'au lendemain, ne verra Trochet déjà amené à Sedan et sera transporté en camion jusqu'à la banlieue de Sedan, dans un local de fortune où les soins et la nourriture étaient rares; il y rencontrera Villatte,dépanneur du 2e escadron.

Après quelques jours, il sera transporté à Arlon, en Belgique, dans une grande usine transformée en poste de secours et se retrouvera aux côtés de Trochet amputé du bras gauche au 1/3 moyen, puis à Treyza, en Allemagne, où il retrouvera Sarthou et André Porte.

 

20h30 - 8e Chasseurs - 4e escadron - Lieutenant Rerolle

Compte rendu du lieutenant Rérolle, commandant le 4e escadron :

" L'infanterie a, je crois, atteint la ferme Moulinot à sa droite, mais sa gauche n'a pas avancé.

Mes hommes tiennent toujours le bois triangulaire, mais il y a pas mal de pertes. Au GM Demouron, il reste 8 hommes seulement; le peloton Botreau-Bonneterre a des pertes assez sensibles. Je ne sais rien d'un groupe du 1er peloton.

Les officiers d'infanterie sont presque tous blessés et ont peu de munitions.

Le 1er Hussards a l'ordre de se replier. Que faire ? "

Il lui est répondu que la seule consigne est de résister, et que le 1er Hussards maintient intégralement ses positions.

 

21 h - 8e Chasseurs

Compte rendu du commandant de Gastines :

"L'escadron d'Aramon ( 3e esc. ), à la suite d'un violent bombardement, a été attaqué par un char allemand avec 10 hommes derrière tirant à la mitrailleuse.

Le groupe Garnier est volatilisé.

Du peloton Millet, pas de nouvelles.

Le peloton Galichon, un GM et le groupe de commandement du capitaine sont installés face à l'ouest, au sud du bois triangulaire.

Rérolle est sur place.

Botreau est légèrement blessé.

La situation est très compliquée depuis l'arrivée des fantasins, ils ont tiraillé dans le dos de Rérolle."

 

Fin du jour - 1er Hussards - 1er et 2e escadrons - lisière ouest du bois du Mont-Dieu.

Les officiers apprennent par un agent de liaison que leur position à l'ouest du bois qui forme une excroissance du front est particulièrement délicate car elle risque d'être coupée rapidement.

 

21h - 49e BCC

La nuit commence à tomber lorsque les chars restants arrivent au bois de Sy.

Le "Staouell" revient avec plus de 20 impacts d'obus antichars dans son flanc et dans ses chenilles; plusieurs boulets sont figés dans le blindage, une chenille casse à l'arrivée au PR, aucun mal à l'équipage.

Pendant que le sergent Gaudot, pilote du 347 "Mercurey" est enterré au bois de Sy, le lieutenant Jacquelin, chef du char 397 "Tavel", dit à son pilote, sergent-chef Osieka : " Un char est en panne chez l'ennemi. Il faut aller le chercher. "

Dans la nuit, le 397 "Tavel" démarre, le lieutenant Jacquelin assis sur la tourelle.

Il roule prudemment avec le minimum de bruit.

Le lieutenant Jacquelin dit à son pilote d'arrêter le moteur, le char en panne vient d'être enfin trouvé, mais il est prêt à repartir avec un dépannage et son équipage espère pouvoir lui faire rejoindre le PR au bois de Sy.

Le char avance; le 397 "Tavel", prêt à le suivre pour lui porter assistance s'il y a lieu, tombe subitement en panne au démarrage : plus de direction, fuite d'huile au Naeder. Il reste sur place.

Le premier char ne s'est aperçu de rien, l'équipage du "Tavel" ne peut qu'attendre avec l'espoir que le bataillon enverra quelqu'un à sa recherche.

Le bataillon, ne voyant pas rentrer le "Tavel", envoie un sous-officier avec la dangereuse mission de le retrouver.

Le sous-officier trouve le "Tavel" et revient au bois de Sy. Il faut apporter de l'huile; un motocycliste, avec un fût de 50 lires dans son side-car, s'en va vers le "Tavel"; il effectuera 3 voyages; le 3e bidon ne sera pas utilisé, le "Tavel" entre au bois de Sy avec 10 litres d'huile répandue sur le plancher.

Ce 24 au soir, il ne reste plus que 4 chars disponibles au bataillon. Le lieutenant Caravéo en reçoit le commandement dans le cadre d'une compagnie de marche.

 

Crépuscule - II/36 RI - 7e compagnie - côte 276

Le capitaine Miray se laisse emmener vers le poste de secours.

Le lieutenant Blondel prend le comandement de la 7e compagnie réduite à une trentaine d'hommes qui vont patrouiller dans le bois triangulaire.

Le lieutenant Blondel place ses mitrailleuses et rend compte au capitaine Saubagne.

 

Tombée de la nuit - 16e BCP

Le commandant Waringhen décide de constituer une nouvelle 2e compagnie avec les éléments restants de l'ancienne 2e et ceux qui avaient été prévus pour la contre-attaque de 18h, soit environ 50 combattants.

 

93e GRDI 2e GM - lieutenant Blachon

Le lieutenant Blachon amène ses 6 mitrailleurs et leurs deux pièces entre les cotes 232 et 242. Ils plongent dans le fossé de la route et sont tout de suite en batterie. Le cavalier Proust prend la place du tireur Ceyrat, blessé, le cavalier Brunie étant chargeur.

Le lieutenant Blachon règle ses pièces - qui n'ont pas de guidon lumineux - en visant les points brillants de la route et en relevant légèrement le limbe.

A la suite de ce tir de réglage, les Allemands dont les casques sont aperçus dans l'autre fossé de la route ripostent par rafales de mitraillettes; l'échange sporadique de coups de feu s'arrêtera vers minuit.

Le lieutenant commandant les 37 Chasseurs, uniquement armés de fusils et à la gauche du lieutenant Blachon, est enchanté de ce renfort; peu après, il lui confie ses hommes, devant aller en liaison auprès de son commandant dont il ne sait rien.

 

Nuit tombée - II/36 RI - 5e compagnie

La section du lieutenant Durant reçoit l'ordre d'aller occuper un petit boqueteau sur la pente nord-ouest de la cote 276 à quelques centaines de mètres sud de la ferme Le Moulinot.

Arrivée à une cinquantaine de mètres, la section essuie des coups de feu venant de ce boqueteau.

Après repérage de la résistance ennemie constituée d'une mitrailleuse tirant en flanquement avec balles traceuses de mitraillettes et fusils, le lieutenant Durant fait mettre en batterie le FM d'un groupe qui fixe par son tir l'ennemi, puis fait avancer les 2 autres groupes à gauche et à droite du premier.

Le groupe à droite attaque la résistance, puis le groupe de gauche effectue un mouvement de débordement.

Le caporal-chef Hébert du groupe de droite est tué par une rafale de mitraillette en commandant le feu de son FM.

L'ennemi se défend à la grenade mais, violemment pris à partie et menacé de débordement, il se replie à la faveur de l'obscurité.

La section du lieutenant Durant occupe ses emplacements de combat.

 

1ere BS - 6e Spahis Algériens -Lieutenant-colonel Goutel

Le 6e Spahis, après progression vers ses objectifs, atteint la route Le Chesne-Stonne entre Fontaine Uchon et le Crochet.

 

21h30 - 8e Chasseurs - 3e escadron - cote 276

Le 3e escadron, sous la menace de l'encerclement de l'ennemi longeant la côte 286 vers le nord et de ceux descendant du Nord, s'est replié vers le bois triangulaire où sont embriqués quelques éléments du 36e RI dans les restes des 3e et 4e escadrons.

Le peloton du lieutenant Millet, sud-ouest du bois triangulaire, qui a tiré toute la journée sur l'ennemi venant du canal, est pris à partie de toutes parts. Menacé d'encerclement, sous la protection de son FM orienté sur Tannay, il est obligé de reculer son peloton en direction du bois triangulaire. Son sous-officier adjoint, le mdl Legrand, tombe mortellement blessé au lieu-dit " Froitreux Carrière Simonet-Flatré ", ainsi que les cavaliers Placais, Pasquier, Perrin et Dumuis.

 

22h - 3e DIM - 3e DCR

L'ordre de repli maintenu par le général Flavigny, commandant le 21e CA, arrive au PCC des 2 divisions; le repli devra être effectué dans la nuit du 24 au 25.